Photo : Riad Pourquoi toute cette violence ? Pour les gens interrogés dans la rue, le «personnage» central qui sème la zizanie dans la société algérienne se nomme «le quotidien». Comment cela se manifeste-t-il ? De plusieurs manières et pour différentes raisons. La promiscuité. La densité de la population a crû de 203% en 45 ans. De 4,6 habitants au km2 en 1961, cet indicateur passe à 14 en 2006. Dans les grandes villes, cette densité est multipliée par plus de 200, dépassant les 3 000 habitants au km2 dans certains quartiers d'Alger. «Ici, dab rakeb moulah» (on ne distingue plus la monture de son maître), image Dahmane, un sexagénaire algérois, pour dépeindre la vie dans la capitale. «Les cafés sont pleins, les espaces publics bondés, les rues débordent, les mosquées aussi, les cités surpeuplées et les routes saturées. Il y a trop de monde, trop de visages, trop de couleurs. A la longue, c'est stressant», s'alarme-t-il. Les lendemains incertains. En Algérie, la seule chose garantie est l'incertitude. La précarité guette, la mercuriale joue au «yo-yo» ; elle monte et descend sans prévenir, les postes d'emploi sont fragiles, l'avenir des enfants ambigu, la débrouillardise est érigée en règle, les fins de mois difficiles pour les salariés, des médicaments indispensables subissent les lois du marché et de la disponibilité, des lois et des décrets sont promulgués, appliqués puis, parfois, abandonnés sans avertissement. Les retraités, après des années de services, terminent leur vie dans la précarité, les pensions étant dérisoires. Les commerçants honnêtes touchent à peine le salaire moyen d'un fonctionnaire… Les valeurs sociales en décrépitude. Les Algériens ne savent plus sur quel rythme danser. Hip-hop ou bendir (percussion), le cœur balance. L'acculturation a fait le reste. Aspirer à une vie à l'occidentale en respectant les valeurs ancestrales, c'est jouer au funambule au-dessus d'un ravin profond. Opter pour le style «proche-oriental» n'est pas une partie de plaisir non plus. Du reste, des idéaux se confrontent. Les uns veulent casser des tabous, certains résistent et d'autres encore souhaitent en rajouter de nouveaux. Les familles s'unicellularisent. L'exode vers les grands centres urbains a fait que les voisins ne se connaissent plus. Méfiance. La solidarité entre les habitants des quartiers n'existe pratiquement plus. L'esprit «houmiste» est devenu un concept nostalgique. Après l'incivisme, les Algériens semblent créer un nouveau concept, l'anti-civisme, c'est refuser de se conformer à tout ce qui fait office de règle et de loi censées réguler la vie en communauté. Le transport. En bus, en car ou en train, le calvaire est le même. La notion du temps n'est pas encore assimilée. Le voyageur est à la merci des aléas du temps et des gens. A bord de son véhicule particulier, on n'est pas pour autant sauvé. Incivisme routier, encombrements, absence d'aires de stationnement, parkings sauvages, pièces de rechange contrefaites, taxes, PV, font presque regretter d'être automobiliste. L'urbanisme. Nos villes sont hideuses. La construction anarchique. Les espaces verts inexistants et ceux qui persistent sont dans un piteux état. Les rues étroites. Les anciennes bâtisses s'effritent et les nouvelles mal pensées. Injustice, passe-droit et corruption. La «hogra», un mot algérien intraduisible. «Si tu n'es pas épaulé, ou si tu n'as pas d'argent, toutes les portes te seront fermées», déplore Madjid, un jeune Algérois de 35 ans. «Il faut avoir un pied dans toutes les institutions et organismes d'Etat et même privés pour espérer acquérir ses droits», poursuit-il. La foi en la justice fait également défaut. La corruption et le népotisme gangrènent même ce secteur stratégique. Mutation et radiation ont été prononcées, en avril 2008, contre des magistrats accusés de corruption. Injustice et abandon sont les pires sentiments que l'homme peut avoir. Ils poussent l'individu à s'ériger en juge et bourreau. Chacun veut se faire justice à sa manière. Là est le danger. Absence d'espaces de discussion et d'échange. «Heureusement, il y a Internet», ironise Madjid. Cyber café, trottoir et parking des cités ou l'intérieur des véhicules sont pratiquement les seuls endroits où les citoyens peuvent épancher leur soif de communication. Parler d'espaces culturels, actuellement en Algérie, c'est comme fantasmer sur les bienfaits d'un air frais sur la planète Mars. Très rares sont les endroits réservés à la poésie, à la romance, au théâtre, à la musique ou au cinéma. Pis, le citoyen arrive très rarement à faire entendre sa voix. Celle-ci n'est sollicitée que pour les échéances électorales. Pour exposer ses doléances à un commis de l'Etat, il faut avoir les nerfs solides. Une fois élus, les «représentants du peuple» font la sourde oreille pour les voix qui leur ont pourtant permis d'être ce qu'ils sont. D'où la frustration et le recours à la violence. La brutalité intrinsèque. Frapper sa femme ou son enfant ne choque pas en Algérie. Dans ce cas, le verbe «frapper» n'a pas pour synonymes «brutaliser» ou «rudoyer» mais plutôt «punir» ou «corriger», donc, éduquer. De janvier à juin 2008, 4 500 femmes ont déposé plainte pour violence. Même si ces chiffres sont loin d'être exhaustifs, cela veut dire qu'une plainte pour agression, généralement dans le cercle familial, est déposée par heure. Selon une étude réalisée par le ministère de la Famille, 80% des parents algériens recourent à la violence pour éduquer leurs enfants. Et comme disait Eschyle (poète grec du Ve siècle avant J.-C.), «la violence a coutume d'engendrer la violence». A l'adolescence, ces enfants se vengent sur la société.