Photo : Riad Par Amirouche Yazid Le problème des sans domicile fixe se pose à longueur d'année. Un vrai casse-tête pour les autorités qui n'arrivent pas à trouver de solutions pour cette catégorie de marginaux dont le chiffre ne cesse de s'accroître. Le problème se pose néanmoins avec plus d'acuité pendant l'hiver où ces SDF passent des nuits dans un froid qui fait craquer les os. Il est triste d'arpenter les rues et les ruelles de la capitale pendant que des femmes, des hommes et surtout des enfants font face à un froid sibérien. La tristesse est dans tous les coins.Le froid des nuits algéroises nous rappelle que les sans-abri existent en grand nombre parmi nous. Ils vivent dans des conditions insoutenables. «Ce n'est pas un sourire de compassion ni un soupir de tristesse dont nous avons besoin. Aidez-nous plutôt à sortir de cet enfer !» lâche une jeune fille, dans la rue depuis 3 ans. Chaque nuit, c'est le même décor. Certains SDF se livrent une rude concurrence parfois entre eux. La loi du plus fort règne plus pendant la nuit. Lutte et méfiance sont les maîtres mots pour survivre. Les plus costauds se réservent les coins protégés. Les sans-abri changent de place à plusieurs reprises avant de trouver un refuge. Elle s'appelle Amina. Elle est mère d'un enfant de deux ans. Des problèmes conjugaux l'ont boutée hors de chez elle pour la jeter à la rue à l'âge de 29 ans. «Je sais que vous êtes un journaliste et que vous allez répercuter mes paroles dans le journal. Je suis très contente : on va m'écouter après deux ans de solitude. Mais avant de répondre à vos questions, j'aimerais bien que vous offriez quelque chose à manger au petit», dira cette victime de la société et de l'ordre social. Samir, l'enfant de 2 ans, veut un sandwich et une bouteille de limonade. Une seule question taraude l'esprit d'Amina : les autorités vont-elles trouver un abri aux SDF avant les grandes pluies du mois de janvier ? L'interrogation revient de façon cyclique. Les solutions sont souvent renvoyées aux calendes grecques. Tout près de l'ancien siège du ministère des Finances et non loin du commissariat central, l'horloge du rond-point indique 20 heures. Un froid glacial s'est abattu sur la ville. Avant de chercher un petit coin où ils vont passer la nuit, Tahar et Samy sont en quête d'un bout de pain. Ils sollicitent tous les passants. «Personne ne choisit volontairement de mener une telle existence. Le destin en a voulu ainsi», dit Tahar avec beaucoup d'amertume. Son ami de fortune est heureux du retour du beau temps. Un éphémère sursis. Avant la prochaine tempête. Redouane est un quinquagénaire qui préfère le jardin Sofia. Il est ici après avoir rencontré des problèmes familiaux qui le mèneront dans la rue. Sans couverture ni même de bouts de carton pour se protéger, il dort à même le sol. Pour se réchauffer, pas d'autres moyens pour lui que de s'envelopper dans une veste défraîchie en cuir et des tricots. Redouane guette tout passant pour quémander quelques dinars. «J'ai essayé de trouver du travail à plusieurs reprises, mais en vain. Personne n'a envie d'embaucher un sans-abri. Les gens ont une idée très négative sur nous. Pourtant, on est des gens tranquilles», raconte Nassim, un jeune de 25 ans qui n'a jamais été à l'école. Un motif de regret. «J'en veux énormément à mes parents qui n'ont rien fait pour que j'aille à l'école. Ils m'ont jeté à la rue», dit-il. Amine est gêné pour témoigner de toute sa douleur. Il s'explique : «Les policiers de la zone me traquent depuis plusieurs mois. Peut-être qu'ils me soupçonnent de vendre de la drogue.» Quelques SDF se sentent plutôt en sécurité en présence des policiers. Certains dorment déjà alors que d'autres gardent toujours les yeux ouverts observant les quelques individus qui sillonnent encore la ville. Ahmed a fini avec les années qui passent à devenir un témoin des lieux. Il est au square Port Saïd depuis au moins une dizaine d'années. Interrogé à plusieurs reprises sur la durée qu'il a passée dans la rue, il ne donne pas de réponse. Il ne compte plus les jours ou les mois. Pour lui, la notion du temps n'a plus de sens. «Je viens de Bordj. J'ai quitté ma famille depuis longtemps. Certains bienfaiteurs me donnent un peu d'argent et des habits. Tout le monde sait que les SDF vivent dans des conditions très difficiles. Je ne me plains pas», raconte Ahmed. Le Bordjien, comme aiment l'appeler les habitués de la place, ne désespère pas de voir sa condition de vie changer un jour. «J'en ai vu des gens pour qui le sort a souri un jour. J'attends ma chance», ajoute-t-il. Livré à lui-même dans des conditions très précaires, il tente tant bien que mal de subsister. A la rue Ferroukhi, l'invariable du trottoir est une femme au crâne rasé à un rythme quasi quotidien. Elle est là jour et nuit en compagnie de son gosse en train d'attendre des gestes généreux. Les jours et les nuits passent sans que les choses changent. Le cumul des années passées dans la rue a également un autre coût : beaucoup de marginalisés souffrent de nombreuses maladies. Rhumatisme, bronchite et autres maladies respiratoires sont très répandus parmi eux. Sans couverture sociale, ces gens rencontrent d'énormes difficultés pour se soigner même si le Samu tente d'apporter des solutions, notamment pendant certaines périodes. «Les responsables et les autorités se rappellent notre souffrance à l'occasion de chaque Ramadhan. Pendant ce mois, nous sommes bien pris en charge. Mais nous replongeons par la suite dans l'oubli», témoigne un vieux sans domicile fixe. Ce dernier se plaint du traitement que leur réservent certains agents de l'ordre. «Bien évidemment, il existe une différence entre les SDF et les autres criminels. D'une manière générale, les sans-abri ne représentent pas un danger. Ces dernières années, on constate que le nombre des personnes sans domicile fixe augmente continuellement», estime un officier de police. Pour combien de temps encore seront-ils marginalisés ? Quel lendemain pour Djamel, Hicham, Aïcha, Abdallah, Hussein ? Sont-ils condamnés à vivre et à mourir dans la rue ? Une chose est, néanmoins, sûre : ces personnes gardent toujours espoir de voir une main tendue pour les sauver. En attendant, ils vont continuer leur vie… dans la rue et le froid.Il est incontestable que le problème des SDF n'est pas propre à l'Algérie. Le problème est partout dans le monde. La manière avec laquelle est traitée cette catégorie donne, néanmoins, des raisons de dire que les autorités ne se soucient qu'épisodiquement de leur sort. Que peut la société civile pour atténuer le phénomène ? Bien qu'elle soit active sur le terrain, elle ne peut remédier à de tels problèmes, qui ne ce cessent de prendre de l'ampleur. «Tous les responsables ont une idée sur les conditions difficiles dans lesquelles nous vivons. Mais rien ne se fait», déclare l'un des SDF de la rue Hassiba Ben Bouali. Un tel message ne peut être ignoré par le gouvernement qui n'hésite pas à intégrer la prise en charge des nécessiteux dans ses bilans.