Parler de la culture de nos jours, en ces temps où le simple fait de l'évoquer relève de l'anachronisme dans une réalité indigente et ruinée par des préoccupations toutes vouées au mercantilisme et à la prébende, revient à revoir de fond en comble tout un système qui a fait faillite et qui persévère dans cette voie menant tout droit au néant. Un néant en passe de réaliser un nivellement général et qui pourrait réussir n'étaient les quelques îlots de résistance défendus par des irréductibles et des inconditionnels de cette culture qu'on veut à tout prix déporter. Les circuits traditionnels d'expression de la culture et par lesquels l'individu se forme en appréciant les différents produits ont presque totalement disparu et ne survivent plus que grâce à quelques festivals réducteurs et limités dans l'espace et le temps. Dès que ceux-ci prennent fin -et ils sont généralement écourtés- on plie très vite bagage de peur que cette manifestation ne fasse tache d'huile et ne se propage pour toucher et intéresser ceux exclus par le système. Les cinémas ayant fermé les uns après les autres, les soirées dans les salles obscures avec tout leur rituel ont été rayées des agendas, les débats par lesquels on dissèque les films pour mieux comprendre et déchiffrer les messages qu'ils véhiculent ne sont plus que de l'histoire ancienne. Les expositions, les vernissages, les galas, les récitals poétiques, les concerts de musique et les visites aux musées se font rares, ne drainent plus les foules et se passent la plupart du temps loin du grand public. Ce sont des manifestations occasionnelles réservées aux seuls initiés qui ne «débordent» pas du cadre pour lequel elles ont été organisées. Les nombreuses bibliothèques construites un peu partout dans les villes et les villages ne sont fréquentées qu'à l'approche des examens scolaires ou universitaires. Elles sont pour les apprenants l'endroit idéal pour se rencontrer, revoir et réviser, sans plus. Les jeunes générations, dans les écoles, les lycées ou les universités n'ont pas été initiées à la culture, c'est plutôt la raison pratique qui a pris le dessus. On étudie, on persévère, on s'intéresse pour réussir ses études. La culture ? Un mot vide de sens et qui n'a aucune utilité pour eux parce que tout simplement, le système mis en place n'a pas inculqué le goût de la culture en suscitant la découverte, en aiguisant la curiosité de l'enfant pour l'amener à aller lui-même à la recherche du savoir et de la connaissance. Les premiers jalons étant plantés, il ne fera que continuer sur la même voie pour aller de découverte en découverte et accumuler, ainsi, une somme de connaissances qui se développera tout le long de sa vie. Le summum de ce cheminement sera la contribution qu'aura apportée le sujet en produisant à son tour et en enrichissant cette culture par ses propres écrits. Le système actuel déjà aux prises avec un enseignement en faillite qui produit et perpétue la médiocrité ne pourra pas ressusciter la bonne vieille culture d'antan perceptible à tous les niveaux, particulièrement dans les comportements des uns et des autres. Parce que la culture aura «élagué», éduqué, adouci et civilisé l'homme pour le présenter sous son meilleur profil : sociable, compréhensif, tolérant, poli, courtois, généreux… Or, aujourd'hui, dans nos villes et nos villages, même si l'on a multiplié les «infrastructures culturelles» -une expression qui sonne faux quand on parle de culture-, la culture est absente ; elle est en congé longue durée et son retour n'est pas attendu de sitôt. Un contenant sans contenu, et à voir les édifices bâtis, on croirait avoir atteint les sommets mais la réalité est tout autre et le proverbe populaire bien de chez nous «Toi qui es décoré de l'extérieur, comment es-tu de l'intérieur ?» trouve toute sa signification. Ces «infrastructures» détournées la plupart du temps de leur vocation vivent une indigence culturelle permanente. Théâtres, maisons de la culture, centres pour jeunes servent de lieu de réunion ou pour l'organisation de séminaires et d'expositions-ventes de produits divers ; le bazar qui écrase la culture avec la bénédiction des autorités. «Le résultat» de l'inculture et de l'ignorance qui, chaque jour, font des émules, est dans nos rues, nos lieux communs et dans nos quartiers et cités. C'est le retour à l'incivisme, à l'agression verbale, aux propos roturiers et orduriers lancés à l'adresse des passants, à la violence et à l'intolérance. C'est tout simplement la dégénérescence et la décadence qui s'installent. Ce qui est grave, c'est que maintenant cela ne choque presque plus personne. R. M.