Synthèse de Sihem Ammour L'Académie suédoise de Nobel a frappé fort jeudi dernier en attribuant, contre toute attente, le prix Nobel de littérature 2009 à l'écrivaine allemande Herta Müller, pour son œuvre «décrivant l'univers des déshérités».Selon le comité Nobel, Herta Müller a été récompensée pour avoir, «avec la concentration de la poésie et l'objectivité de la prose, dessiné les paysages de l'abandon».Suite à l'annonce des résultats, la lauréate a déclaré, lors d'une conférence de presse, son immense étonnement : «Je n'arrive toujours pas à y croire : je le sais, mais ce n'est pas encore entré dans ma tête. J'étais sûre que ça n'arriverait pas. Il me faut du temps pour réaliser.» Elle a aussi confié qu'elle est encore hantée, 20 ans après, par la dictature communiste roumaine, un sujet omniprésent dans son œuvre. Elle a souligné a ce sujet : «J'ai vécu plus de trente ans sous une dictature, j'ai eu de la chance parce qu'il y a beaucoup de gens qui ne survivent pas aux dictatures. Je sais ce que c'est d'avoir peur chaque matin de ne plus exister le soir. Ce n'est pas fini dans ma tête, même si cette époque est révolue.» Herta Müller s'est âprement battue contre le régime communiste en Roumanie, refusant de servir d'indicateur à la police secrète alors qu'elle était traductrice dans une usine. Dès son premier recueil de nouvelles, intitulé Bas-fonds et composé en 1982, elle a dénoncé les conditions de vie sous le régime de Nicolae Ceausescu, avec leur cortège «de corruption, d'intolérance et d'oppression», relève l'Académie Nobel. Censurée, harcelée, diabolisée, Herta Müller a fini par fuir en Allemagne de l'Ouest en 1987. Cette arrivée en Allemagne est à la fois une rupture, et un retour aux sources ; elle y retrouve sa langue d'origine. Si elle n'a jamais vraiment parlé roumain, c'est pourtant sa vie en Roumanie sous la dictature de Ceausescu, véritable école de la peur, qui nourrit toute son œuvre : esthétique de la résistance, littérature contre l'oubli. Au-delà de la vie quotidienne en période de dictature, l'œuvre de Herta Müller décrit la vie des minorités «en dehors de l'histoire commune, la vie de quelqu'un en dehors même de sa propre famille, la vie de quelqu'un qui va jusqu'à changer de pays et qui s'aperçoit que cela n'y change rien», note le secrétaire permanent de l'Académie Nobel, Peter Englund. Trois livres de Herta Müller ont été traduits en français : l'Homme est un grand faisan sur terre, la Convocation et Le renard était déjà le chasseur. Dès l'annonce du prix, Gallimard s'est empressé d'annoncer à son tour la traduction en cours de son livre le plus récent Atemschkel, qui traite de la déportation en URSS des Allemands de Roumanie, après la Seconde Guerre mondiale. Quasiment inconnue chez les lecteurs francophones, Herta Müller jouit d'une grande notoriété aux États-Unis et dans les pays d'Europe du Nord, où l'on apprécie sa langue riche en métaphores et d'une grande musicalité.