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La capitale croule sous les ordures
à cause de l'incivisme des citoyens et du laxisme des autorités
Publié dans La Tribune le 14 - 10 - 2009

Alger la blanche. Cette appellation maintes fois répétée par le passé (avec une certaine dose de patriotisme) n'est plus d'actualité.
Aujourd'hui, une simple randonnée à travers les rues et les artères de la capitale permet de se rendre compte que l'état de déliquescence en matière d'hygiène a atteint des proportions alarmantes. Dire aujourd'hui qu'Alger est sale est une lapalissade. Les scènes, où des poubelles sont jetées par les balcons, sont légion. En dépit des efforts des services concernés par le ramassage des ordures, Net Com en l'occurrence, l'hygiène pose un véritable problème. «Même les chats ne prennent plus la peine de chasser les souris tellement ils sont rassasiés à la faveur des restes des repas jetés n'importe comment et qui, d'ailleurs, font leur bonheur. Chez elles, les mères de famille insistent pour nettoyer les moindres recoins. Mais, souvent, elles n'hésitent pas à jeter leurs sachets d'ordures par les fenêtres pour atterrir sur le trottoir, voire sur la tête des passants», relèvera avec amertume un sexagénaire originaire de l'Algérie profonde, ayant élu domicile dans la capitale au lendemain de l'indépendance, non sans s'interroger sur les raisons de cette métamorphose en matière de comportement des citoyens.
Le désappointement de notre interlocuteur était d'autant plus grand que de son temps les rues étaient bien plus propres. Ce n'est plus hélas le cas aujourd'hui. Vers quelque endroit que l'on se rende, le même décor nous est offert. L'état des rues, des bâtiments et de l'environnement à Alger (et en Algérie de façon générale) dénote le peu d'intérêt qu'accordent les citoyens à la propreté du quartier. Dans les marchés, le même constat peut être fait. Par endroits, il faut se pincer le nez tant les odeurs nauséabondes des produits périmés sont insupportables.
Dans nombre d'endroits, des monticules de détritus se forment. Nombreux sont ceux qui pensent que le domaine du baylek est le lieu où ils peuvent se permettre de tout faire et de tout jeter. Les Algérois n'arrivent pas à admettre l'idée que l'espace public appartient à tout le monde. D'après une étude du journal britannique The Economist réalisée récemment, Alger est classée à la 138e position, sur un total de 140 villes à travers le monde. La vie quotidienne est évaluée et codifiée selon plusieurs paramètres. Le cadre de vie à Alger est jugé indésirable et intolérable en vertu d'une notation qualitative et quantitative. Il est évident que cette situation peu reluisante influe négativement sur l'image de marque de tout un pays, la capitale en étant la vitrine. Sans doute, plus que les autres villes du pays, Alger est soumise aux effets conjugués de la saleté, du bruit et de la pollution. Cet état de fait ne peut qu'influer sur le flux des touristes et des investisseurs étrangers. Dès lors, bien des questions nous viennent à l'esprit. Comment en est–on arrivé là ? Pourquoi la capitale est si sale ? A qui incombe la responsabilité ? Que faire pour changer les choses ? Si, comme l'affirment bon nombre de personnes interrogées, cette situation est due à la politique de «takhti rassi», jusqu'à quand cette dernière régnera-t-elle en maîtresse ?
Sur les responsabilités de cette situation, les autorités et la population se rejettent la balle : les gens manqueraient de civisme, selon les autorités, alors que la population se plaint de l'absence des pouvoirs publics.
En déambulant du Sacré-Cœur jusqu'à la rue Ben M'hidi, nous avons constaté qu'en matière de propreté il reste assurément beaucoup à faire. Si, tout le long du boulevard principal, les choses ne sont pas si critiques, dans les ruelles, en revanche, la situation est tout autre. Bouteilles, cartons, résidus ménagers s'entassent d'une manière anarchique. Les gens ne se gênent aucunement de jeter leurs déchets n'importe où même au pied de l'immeuble et n'importe comment. Les ordures et les odeurs nauséabondes sont les maîtresses des lieux. D'aucuns relèvent le manque criant de toilettes publiques. Un facteur qui ne fait qu'exacerber cette situation. «Zaama ahna mouslimine. Yak el nadafa mina el iman», s'insurgera un commerçant, non sans faire remarquer qu'une fois à l'étranger, les Algériens, laxistes et négligents à merveille, changent de comportement !
A la rue Trollard, non loin du tunnel des Facultés, une niche d'ordures de quelque 8 m2 constitue le point de mire des riverains (et d'autres personnes venant de bien loin) qui y jettent toutes sortes d'ordures et de détritus, y compris les gravats et autres matériaux. Cela fait longtemps que quelque 600 familles vivent cette situation. Certains ne s'empêchent pas d'hurler leur rage quant aux conditions de vie écœurantes qu'ils doivent supporter. Ils se plaignent des conditions d'hygiène dans leur cité. «La saleté attire les rats et nous avons peur pour la santé de nos enfants», diront-ils en chœur, ajoutant que le travail effectué par les responsables du secteur de la santé ne servira à rien tant que l'environnement est toujours aussi sale.
Incontestablement, c'est à proximité des marchés que l'aspect hideux de la capitale est le plus visible. Celui de Meissonnier ne déroge pas à la règle en matière de saletés. À l'entrée de ce marché, pouls battant d'Alger, une benne est posée. Certains vendeurs préfèrent jeter les ordures sur le sol. A la fermeture du marché, les marchands qui ne peuvent accéder à la benne à ordures jettent les restes des fruits et légumes à même le sol. Il arrive que ces immondices restent là des heures durant. Malgré la saleté et les odeurs nauséabondes, les affaires semblent florissantes. Quant aux autorités, elles ont une tout autre vision des choses. «J'estime qu'il n'y a pas le feu à la maison. La commune d'Alger-centre est propre par rapport à d'autres. Cela ne veut nullement dire que tout est parfait. Il y a encore beaucoup de choses à faire. Nous sommes présents sur le terrain. Nous avons recensé puis éliminé de nombreux points noirs. Nous n'avons pas hésité à fermer des bars à la rue Didouche Mourad car les propriétaires jetaient les ordures de manière anarchique. Nous avons à maintes reprises lancé des campagnes de sensibilisation à l'adresse du citoyen, en vain», se défendra Abdelhakim Bettache, vice-président chargé des affaires sociales et celles liées à l'environnement. Pour lui, les gens extériorisent leurs problèmes (promiscuité, chômage, mal-vivre…) en cassant les boîtes aux lettres ou en jetant les ordures sur la voie publique. En guise de solutions à cet épineux problème, il proposera d'instaurer de fortes amendes à l'image de ce qui se fait un peu partout à travers le monde.
«C'est le seul moyen à même de faire changer de comportement au citoyen. D'ailleurs, même des citoyens nous l'ont suggéré. Il faut s'y prendre comme cela a été fait pour la conduite automobile [obligation de mettre la ceinture, défense d'utiliser un téléphone portable]», ajoutera-t-il.
Invités à donner leur avis sur le sujet, beaucoup de citoyens sont unanimes à dire qu'il faut donner des cours de civisme. Mais, à lui seul, cet aspect ne suffit pas. Il faut que cela soit impérativement accompagné de l'application de la législation et de la présence de l'autorité de l'Etat. Rendre responsable le citoyen est le rôle de ce dernier. Au-delà de la sensibilisation, il y a aussi la sanction.
Les habitants pollueurs doivent savoir qu'ils sont passibles de poursuites judiciaires, la propreté étant l'affaire de tous. «Nous autres Algériens, nous n'avons de respect pour personne et encore moins pour notre environnement et l'environnement d'une manière générale.
Ce problème concerne toutes les villes d'Algérie et, maintenant, même les petits villages sont touchés. Que fait l'Etat pour protéger l'environnement ? Rien ! Où est le civisme des citoyens ? Inexistant. Dans ce pays, il y a une expression populaire qui a fait beaucoup de chemins… ‘‘takhti rassy'' ! D'où la maison est nickel et la cage d'escalier une décharge publique. Bref, on ne sait pas vivre en communauté», dira un enseignant. «En Algérie, ce qui manque ce sont les poubelles. En outre, il faut, comme en Angleterre, mettre des caméras partout. C'est la seule chose à même de faire changer de comportement aux gens», ajoutera un retraité.
Quoi qu'il en soit, la dégradation de l'environnement ne peut que peser sur l'image du pays et sur la santé de la population, outre des pertes économiques très importantes. On estime que chaque année, l'Algérie perd quelque 3 milliards de dollars en raison de l'absence de gestion de déchets.
Une colossale somme qui, en ces temps de crise, aurait pu servir à bien d'autres choses. Mais cela est une tout autre paire de manches.
B. L.


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