Photo : Zoheïr Par Abderrahmane Semmar L'ombre de Francis Jeanson planait hier sous le chapiteau blanc du SILA. Secouée par un vent tumultueux de nostalgie et d'émotion, la tente blanche et dorée de la salle «Al-Qods» a abrité, hier, une cérémonie au cours de laquelle un vibrant hommage a été rendu à cette figure incontournable de l'histoire de la guerre d'indépendance. Peu connu des générations d'aujourd'hui, ce qui constitue en soi une violence terrible à la mémoire algérienne, cet homme révolté, un intellectuel pourfendeur du colonialisme, s'est donné corps et âme à la lutte nationale pour l'indépendance. En fait, Francis Jeanson avait épousé les principes et les valeurs de la révolution algérienne, en créant avec son épouse, Colette, son fameux réseau, qui a rendu beaucoup de services à l'Algérie combattante, notamment au plan du financement car ce réseau, rappelons-le, a fait parvenir aux dirigeants de la Fédération de France du FLN jusqu'à 500 millions de francs français par an. Pour souligner toute la valeur inestimable de l'engagement de Francis Jeanson en faveur de notre pays, le journaliste Mohamed Bouhamidi, le moudjahid Ali Haroun, le docteur et militant de la cause nationale Pierre Chaulet et sa fille Claudine, le comédien Sid Ahmed Agoumi, le fils de Francis Jeanson, Olivier, et de nombreux autres compagnons de lutte de Francis Jeanson, se sont donné rendez-vous, hier, au SILA pour rendre hommage à cet amoureux de la justice et de l'Algérie digne et libre. Tout a commencé par la diffusion d'un entretien documentaire réalisé par Ali Fatah Layadi avec Francis Jeanson, quelque temps avant sa mort, chez lui, en France, à Arcachon précisément. Dans son film émouvant, un document unique en son genre, on peut voir le visage angélique d'un philosophe reconnu, dont la lucidité n'a en aucun cas été obscurcie par l'âge. Preuve en est, du haut de ces 87 ans, il confiait à Ali Fatah Layadi tous les secrets de ses actions militantes qui ont permis de protéger, en offrant le gîte et le couvert dans des caches bien secrètes, nos valeureux moudjahidine installés en France. Francis Jeanson expliquera sans détour dans ce film touchant comment les activités clandestines du réseau en faveur de la cause algérienne éveillèrent les soupçons de l'administration française, qui n'a pas réussi à l'arrêter. Mais son procès, le 5 mai 1960, fut, au grand dam de la France colonialiste, un moment fort dans l'éveil de la conscience de l'opinion française à l'égard de la réalité algérienne. Ali Haroun fera savoir, juste après la fin de la diffusion du film de Layadi, que le réseau des porteurs de valises ne s'était pas limité à la France, mais s'était étendu par la suite en Suisse, en Allemagne et aux Pays-Bas. Il n'a pas omis également de raconter comment des Français du réseau Jeanson ont conduit dans leurs véhicules des cargaisons d'armes jusqu'en Allemagne. Des armes qui seront d'un secours incontournable pour nos révolutionnaires. Ali Haroun ne manquera pas de mettre en valeur le livre publié par Francis Jeanson en 1955, l'Algérie hors la loi. «C'est le premier bréviaire de nos révolutionnaires», souligne Ali Haroun, lequel rappelle que pour rassembler les trois éditions du journal de la révolution, Résistance Algérienne, nos moudjahidine se sont référés au texte de Francis Jeanson. Pierre Chaulet, lui-aussi grand militant de la cause algérienne, abondera dans le même sens en signalant que l'Algérie hors la loi est le premier livre qui a éclairé et interpellé l'opinion publique mondiale sur la question algérienne, pour reprendre la terminologie de l'époque. Les participants à cet hommage organisé dans le cadre des manifestations du SILA, préciseront que Francis Jeanson a publié aussi Notre guerre, un violent ouvrage où il dénonce la perte des valeurs françaises dans un enracinement colonial vide de sens.Revenant sur le parcours héroïque de Francis Jeanson, poursuivi par la droite gaulliste (UNR), décrié dans les rangs de la gauche (SFIO et PCF) et menacé par l'OAS, les participants à cet hommage ont su dévoiler à un public venu en grand nombre, les multiples sacrifices d'un militant qui entre dans la clandestinité en 1960, tandis qu'avec des membres de son réseau il est condamné par contumace à dix ans de prison. Après son amnistie en 1966, il se tourne vers l'action culturelle : il participe notamment à La Chinoise, de Jean-Luc Godard, et à des spectacles théâtraux. Enfin, il s'engage dans l'action sociale en s'engageant pour la lutte contre les maladies mentales. Son dernier combat sera pourtant politique puisqu'il défendra la paix en ex-Yougoslavie durant les élections européennes de 1994. Le 1er août dernier, il rend l'âme à Arès, à l'âge de 87 ans. Espérons que cet adieu à cet ami de l'Algérie nourrit la mémoire des générations futures….