Photo : M. Hacène Par Sihem Ammour à L'occasion de la 14e édition du Salon international du livre d'Alger (SILA) où l'Afrique était à l'honneur aux côtés de la Palestine, plusieurs maisons d'édition africaines étaient présentes au stand Esprit Panaf, notamment de nombreux auteurs de renommée. C'était également l'occasion pour les professionnels du livre de débattre et de confronter les différentes expériences pour poser la problématique des enjeux et des perspectives de l'édition en Afrique au moment où le continent marque une véritable renaissance au plan culturel. A ce sujet, Jorus Mabiala, spécialisé dans l'écriture du conte, explique que «l'Afrique est en train de bouillonner. En ce moment on parle de la renaissance africaine, cela se traduit également dans le domaine de la littérature. A cet effet, signalons qu'au cours des deux années précédentes, les prix Renaudot et le Goncourt étaient africains. Cela montre qu'il il y a une réelle effervescence au point de vue culturel.» A propos de la cherté du livre, qui reste inaccessible pour la majorité des lecteurs en Afrique, il affirme que «c'est un faux débat. Ce n'est pas le livre qui est cher, c'est le peuple qui est pauvre. J'ajoute aussi que celui qui se plaint de la cherté du livre possède un téléphone portable et ce qu'il consomme en communications est plus cher que le prix d'un livre. Le problème est que l'on veut vendre l'éducation à bas pris et le superficiel à des prix exorbitants. Pourquoi personne ne se plaint du prix du téléphone portable ? » Quant à Michel Cadence, responsable des éditions Ndze (panthère en bantou), créées en 1980 à Libreville (Gabon) et qui est actuellement basée au Cameroun, il édite essentiellement des écrivains qui vivent en Afrique subsaharienne. Ceci afin de leur permettre d'écrire, d'être connus et avoir la chance de rester au pays. Cette année un des auteurs publié par cette maison d'édition a remporté le prix littéraire d'Afrique. A ce propos, le responsable explique que c'est la première fois, depuis quinze ans, qu'une maison d'édition africaine a remporté ce prix. D'habitude, ce ne sont que des maisons parisiennes qui arrivaient à le décrocher. «Il faut y voir un signe de la renaissance africaine qui bouillonne en ce moment», dira-t-il. Il ajoutera toutefois que «le problème c'est que l'on est des découvreurs de talents. On plante des arbres, mais on n'en mange pas les fruits. Parce que lorsque l'on découvre quelqu'un qui a beaucoup de talent, il devient connu, il décroche des prix et les grandes maisons d'édition parisiennes arrivent avec un chéquier épais. Elles lui proposent des milliers d'euros d'à-valoir, ce qui n'est pas possible pour les maisons d'édition africaines». Il tient cependant à préciser que ces auteurs restent des amis et continuent à donner des petits textes, des poèmes, des nouvelles ou des pièces de théâtre. «Certes, c'est aussi notre rôle de faire découvrir de nouveaux talents. Mais s'il y avait une organisation avec une politique interculturelle du livre au niveau continental, la situation serait différente», précise-t-il. A propos de sa participation au SILA, Michel Cadence explique que cela lui a permis de faire des échanges et créer des liens d'interactivité avec d'autres maisons d'édition algériennes, dont les éditions Apic. La littérature algérienne méconnue en Afrique Ainsi, il va distribuer des auteurs algériens dans le reste de l'Afrique, d'une part et, d'autre part, certains auteurs d'Afrique subsaharienne qui sont édités en Algérie à des prix africains grâce à l'aide du ministère algérien de la Culture. Il confie à ce sujet : «Partout en Afrique c'est le même problème du pouvoir d'achat. Ces livres vont être distribués à des libraires au Bénin, au Togo et dans d'autres pays, en fonction du pays d'origine de l'auteur. Mais il y a aussi le souci de montrer l'existence de la littérature algérienne en Afrique subsaharienne. C'est-à-dire inviter les auteurs algériens aux différents salons de livre et grande rencontres littéraires dans les pays ou sont souvent présents des auteurs algériens vivant en France mais pas ceux résidant en Algérie, alors que j'ai rencontré des auteurs algériens vivant dans leur pays qui sont vraiment talentueux et qui méritent d'être connus dans le reste de l'Afrique.» Il cite, à titre d'exemple, le cas du Gabon où il y a une grande méconnaissance de la littérature algérienne, un vide que les éditions Ndze aspirent à combler grâce à une large diffusion en partenariat avec l'Algérie. Kokou Mensah Azankapé, directeur national du livre au ministère de la Communication et de la Culture du Togo, pose lui aussi la problématique de la diffusion et de la coédition en Afrique. Il déclare à ce sujet : «La situation du livre en Afrique en général et au Togo en particulier, c'est qu'elle est toujours en état de léthargie. C'est pour cela que ce genre de rencontre est très important pour des échanges entre les différents acteurs de la chaîne du livre et les décideurs. Ceci pour voir comment on peut faire sortir l'Afrique ce cette léthargie qui handicapent la production du livre, sa diffusion et même de faire connaître les auteurs africains.» Il ajoute que pour pouvoir briser le handicap du pouvoir d'achat du lecteur africain, il est nécessaire que l'Afrique s'unisse grâce à une coopération Sud-Sud. Ainsi, le Togo peut produire ces livres en Algérie et de même les responsables algériens de l'édition peuvent faire la promotion de leurs ouvrages au Togo. Il ajoute que «le plus important et de briser ce mur qui fait que nous sommes éloignés les un des autres et cela empêche le secteur du livre d'évoluer, une situation qu'on peut débloquer grâce à une coopération qui permette au différents pays africains de se rapprocher». Kokou Mensah Azankapé rappelle que c'est pour atteindre cet objectif que le Togo a ratifié l'accord de Florence et le Protocole de Nairobi. L'accord de Florence ratifié par le Parlement togolais permet de mettre en place les outils nécessaires à la promotion du livre. Cela consiste à ne pas taxer tout ce qui est éducatif, scientifique ou culturel. Cela sous-entend que l'achat de papier et l'encre ne doivent pas être taxés comme des produits de luxe afin que le prix net du livre soit à la portée des lecteurs. Une politique continentale pour sortir de la léthargie Dans le cadre des échanges avec l'Algérie, le responsable togolais informe qu'une convention a été signée avec les autorités algériennes pour des co-productions au Togo. Il confie a ce sujet : «Personnellement, je viens de découvrir une belle littérature magrébine où l'on peut s'identifier en tant qu'Africain. Je vais vous citer l'exemple de la neige dans les ouvrages français. Au Togo il n'y a jamais eu de neige, comment peut-on alors parler de neige à quelqu'un qui ne l'a jamais vue. Alors que la littérature algérienne est aussi belle que la littérature française mais en plus avec les mêmes référents identitaires et culturels que les autres pays d'Afrique. Nous avons nos réalités. Cette coopération Sud-Sud permettra de vivre notre réalité et c'est à partir de ce moment que le développement suivra.» Il tient également à mettre en exergue le fait que la distribution rime avec co-production. Etant donné que le transport coûte très cher en Afrique, il est souvent plus rentable de faire venir un livre de France que de le faire venir d'Algérie. Mais la coproduction, permettra de diminuer le prix final du livre grâce à l'achat des droits d'auteurs qui permettront d'éditer dans le pays même. Cet achat se fera, compte tenu des possibilités de chaque pays, sur la base d'un barème imposé par la France. Le représentant togolais du secteur du livre interpelle les différents décideurs du secteur en soulignant : «Cela fait des années que l'on entend des discours sur la promotion du livre en Afrique. Aujourd'hui, il faut que cette hypocrisie cesse. Il faut que cela se traduise par des faits concrets. A titre d'exemple, ma compatriote qui est responsables des éditions «Graine de Pensée» vient de co-éditer avec les éditions Barzakh deux auteurs Togolais qui sont présents au Sila. Ceci n'est qu'un début. Maintenant, il faut que les médias prennent le relais auprès des citoyens et des décideurs politiques pour que cela se traduise par des faits. Il faut une continuité de l'esprit du Panaf dans tous les pays africains parce que ce métissage culturel est le seul espoir de faire sortir l'Afrique de la misère.» Les librairies, le maillon faible en Afrique Amadou Elimane kane, poète et écrivain, chercheur en sciences politique, lauréat du prix international de la renaissance africaine 2006, confie : «Je suis de ceux qui pensent qu'il existe un potentiel réel sur ou autour du livre africain. Il est temps que les uns et les autres se prennent en charge. Je pense que des pays comme le Sénégal ou l'Algérie ne peuvent faire face à ces grandes multinationales de l'édition, qui, aujourd'hui, dominent le marché. Car un des problèmes du secteur du livre en Afrique se situe dans la diffusion.» A cet effet, il cite l'exemple du Sénégal où la majorité des librairies se situent dans les centres urbains. En dehors des grandes villes il n'y a pas de librairie. Il affirme pour conclure qu'«aujourd'hui, il faut mettre l'accent sur la question de la mise en place des librairies et de la co-édition. Il faut que les uns et les autres sortent des frontières étriquées et s'installent dans une dimension unitaire africaine. C'est seulement à travers cette dimension que, réellement, les Africains, pourront faire face aux enjeux politiques et économiques mondiaux»