Pour rendre Internet plus accessible aux citoyens, le gouvernement a décidé de réduire de 50% les tarifs d'accès à Internet mais tous les fournisseurs d'accès à Internet (ISP) n'appliquent pas cette décision. Lors de la conférence de presse qu'il a animée la semaine dernière, à l'occasion de la signature d'une convention avec le groupe finlandais Stonesoft, le P-DG d'Algérie Télécom, M. Benhamadi, a déclaré que la réduction des tarifs d'accès à Internet «reflète la volonté du gouvernement de faire bénéficier les Algériens de ce mode de communication, mais les ISP ne sont pas dans l'obligation de suivre». Pour lui, l'élargissement de l'utilisation de l'Internet en Algérie repose au moins sur trois éléments : la présence d'un réseau fiable à l'échelle nationale. Car il faut qu'il y ait un réseau téléphonique, outil qui permet d'aller sur Internet, dans chaque localité. A côté de cela, il faudrait que la qualité du service Internet soit équivalente partout, que ce soit à Alger ou à Tindouf, avec les mêmes produits à offrir. Enfin, «connaissant les revenus des Algériens, il faut permettre une accessibilité sur le plan coût. C'est-à-dire qu'il ne faut pas que le citoyen débourse beaucoup d'argent, ou le décourager par une tarification excessive». «Si nous arrivons à mettre en adéquation ces trois éléments, je suis sûr que nous pourrons réellement rendre démocratique l'accès à Internet et éviter qu'il y ai des fractures entre ceux qui vivent dans les villes et ceux des autres régions du pays, mais également entre ceux qui ont les moyens et ceux qui ont des revenus limités», souligne M. Benhamadi 50% de réduction sur les prix de l'Internet : plus d'accès Pour notre interlocuteur, depuis que «nous avons réduit de 50% les tarifs, les citoyens trouvent que c'est plus accessible, mais avec le temps, si nous arrivons à développer d'autres services au profit des opérateurs économiques, des entreprises et des administrations ça le sera encore plus». Pour mieux appréhender l'avenir, Algérie Télécom est en train d'élargir son partenariat à des associations et des ISP «pour qu'il y ait une offre unique et soutenue sur le plan technique et de l'accompagnement», et permettre que «cette pénétration se fasse à grande vitesse». Aujourd'hui, confirme le P-DG d'Algérie Télécom, «nous avons besoin de la présence de l'Internet partout à court terme, parce que c'est à partir de cette présence que nous pourrons, nous et d'autres opérateurs et intervenants, offrir des services». Il rappellera à cet effet l'existence du projet E-gouvernement par lequel l'Exécutif algérien vise à rendre accessibles les services et les produits de l'administration publique. «On ne peut pas rendre ces services à la portée de tous si l'Internet n'est pas présent», indique notre interlocuteur. «La volonté politique du gouvernement existe, de même qu'un accompagnement financier, mais il faut aussi que les opérateurs suivent.» La conjugaison des efforts de tous «est devenue nécessaire pour aboutir à un seul résultat : la présence de l'Internet de qualité à la disposition de tous les citoyens et au niveau de toutes les localités», estime-t-il. Si, au niveau officiel, il est toujours signifié que la situation de l'Internet évolue dans le bon sens, il n'en demeure pas moins que les autres acteurs privés, notamment les ISP, ont un avis plutôt critique. M. Younes Grar P-DG de Gécos, fournisseur d'accès à Internet, dira que nous avons été «assez critiques» vis-à-vis des responsables du secteur en commençant par le ministre (sortant) et les autres qui ont une part de responsabilité dans le fait que le secteur des technologies de l'information et de la communication (TIC) a stagné et qu'il n'a pas eu les résultats escomptés. «Nous avons pris un retard qui s'accentue de plus en plus. Pour remédier à cette situation, il faut que les responsables prennent les décisions qui s'imposent. Ce n'est pas tant le changement des hommes qui importe, mais le changement des programmes et des habitudes de travail et la manière de procéder», indique M. Grar. Selon lui, «bien sûr, dès qu'il y a changement d'homme nous espérons du bien et une nette amélioration du secteur, mais, pour cela, il faut qu'il y ait vraiment un changement de politique, de stratégie dans le travail, de la clarté et de la transparence». Notre interlocuteur se demande ce qui a bien pu motiver la décision de réduire de 50% les tarifs de l'Internet. Comment et pourquoi cette réduction des prix ? «On se demande ce qu'il y a de nouveau pour accorder une telle réduction ? Qu'est-ce qui a changé ? Comment cela a-t-il été décidé ? Ou bien alors y a-t-il eu une matière première qu'on achetait et dont le prix a chuté d'une manière vertigineuse, ce qui aurait poussé les responsables à réduire les tarifs de 50%. Si rien n'a changé, cela voudrait dire qu'Algérie Télécom prenait des bénéfices énormes dépassant les 80%. Dans ce cas, elle peut se permette de réduire de 50% ses tarifs. Dans le cas contraire, elle est en train de solder les services et mener l'entreprise à la faillite.» Autant de questions que se pose M. Grar, insistant sur le fait qu'il ne faut pas se cacher derrière une décision politique pour arnaquer les gens. De son côté, M. Ali Kahlane, président de Satellite Solutions Provider, explique qu'il est paradoxal aujourd'hui que l'Algérie soit à la traine en ce qui concerne les TIC, alors qu'elle était prise en exemple il n'y a pas longtemps. «Notre pays a été le premier à investir dans l'informatique, à avoir une école d'ingénieurs en informatique, à avoir un commissariat national à l'informatique, c'est- à-dire une structure qui planifiait à grande échelle l'introduction de l'informatique dans notre pays. Mieux, on est actuellement un pays fournisseur de compétences en informatique pour l'étranger. Le Canada et l'Europe, entres autres, s'arrachent les ingénieurs formés ici», explique encore M. Kahlane qui n'a pas manqué de souligner le fait que l'Algérie ait été parmi les premiers pays à aller vers l'Internet, alors que les résultats ne répondent, malheureusement pas, aux attentes. Et de se demander : pourquoi en est-on là ? Donnant l'exemple de l'ADSL (Internet à haut débit), ce spécialiste qualifie son introduction en 2003 de tardive. «Si l'on compare avec nos voisins, je dirais, contrairement à beaucoup, que nous sommes loin derrière eux, alors que, logiquement et en raison de notre expérience dans ce domaine, on aurait pu être classés avant.» Pis, «cela fait 5 ans -de 2003 à 2008- que nous continuons à travailler avec 128 kbit seconde, alors que dans les autres pays on n'en parle même plus. Les jeunes ne savent pas que ça existe, puisqu'on parle de méga chez eux», soutient notre interlocuteur. Qu'est-ce qui a pu se passer pour qu'on soit resté à ce niveau-là ? Et pourquoi des nombreux fournisseurs des services Internet venus en 2000, il n'en reste plus que quelques-uns et que seuls deux évoluent réellement dans l'ADSL : l'opérateur historique et le privé EEPAD, souligne M. Kahlane. S'agit-il d'un marché qui n'est pas porteur ou y a-t-il quelque part des problèmes ? s'interroge-t-il. Pour répondre à cette question, il dira qu'en tant qu'association des ISP et en tant que groupement de fournisseurs aux services Internet nous avons constaté que de multiples dysfonctionnements sont à l'origine de cette situation, et le principal étant d'ordre mercantile. «C'est dû, tout simplement, à un principe de base qui fait que, si dans le commerce, la chaîne n'est pas respectée en termes de coûts et de calculs de prix de revient, il est clair que, quelque part, des opérateurs vont disparaître et c'est ce qui s'est passé au niveau de l'Internet. Algérie Télécom a continué à travailler comme au bon vieux temps du monopole ou tout était complètement opaque». Poursuivant son idée, notre vis-à-vis dira que «la bande passante qui est notre matière première était achetée de l'étranger à des prix dérisoires. Elle nous est vendue à des prix administrés si je puis dire et qui n'ont aucune prise avec la réalité». D'où «ces paradoxes incroyables qui font qu'elle est achetée actuellement par Djaweb à 1 500 DA, et nous est vendue, officiellement sur une convention qui n'a pas changé malgré la baisse des prix, à 5 400 DA», explicite encore M. Kahlane. Et de se demander pourquoi ne pas réactualiser la convention nous liant à Djaweb en tant qu'ISP. Travailler plus le contenu Par ailleurs, M. Lounis Bourras, retraité, dira que l'Internet en Algérie est en réalité un gadget. «Ce sont surtout les jeunes qui cherchent à s'évader à travers ce mode de communication, alors que l'Internet est utilisé à des fins professionnelles ou de recherche. J'ai l'impression que c'est quelque chose de très limité, puisque c'est relativement nouveau en Algérie et pendant longtemps difficile d'accès en raison des moyens financiers qui ne facilitaient pas l'achat d'un ordinateur». Cet ancien professeur associé, qui a créé l'Institut national d'informatique (INI), l'Ecole supérieure de banque et bien d'autres encore, tout en se réjouissant de voir qu'«il y a une prise de conscience et de l'intérêt pour l'Internet», confie qu'«il faut plus d'encouragements pour permettre à tout le monde d'y accéder à des coûts abordables. Plus encore, suggère-t-il, il est nécessaire «de travailler sur le contenu pour intéresser plus de monde et leur éviter des déplacements inutiles lorsqu'il s'agit d'informations administratives». Beaucoup disent, en effet, que le contenu de l'Internet est complètement importé et qu'il faudra davantage d'efforts et de facilitations en Algérie pour permettre aux spécialistes en la matière de créer des contenus algériens de manière à intéresser les plus réticents à ce mode de communication qui prend de plus en plus de place dans la vie au quotidien des citoyens. B. A. Une structure indépendante pour gérer les TIC M. Younes Grar, P-DG de Gecos, fournisseur d'accès à Internet, dit avoir déjà «dénoncé le fait de donner la gestion des TIC au ministère des PTT, un département qui n'est pas fait pour les gérer». Car, selon lui, «les TIC, ce ne sont pas les télécommunications, ce sont les technologies de l'information et de la communication, c'est-à-dire l'informatique, le système d'information, l'information, la production de l'information et la manière de les gérer. C'est, en fait, plusieurs domaines dont les télécommunications font partie». Partant du principe qu'il s'agit d'«un nouveau domaine qui évolue très rapidement», notre interlocuteur estime qu'il est «nécessaire de mettre à sa tête des personnes compétentes et à jour pour qu'elles puissent suivre son évolution et l'adapter en Algérie afin d'avancer et de mettre en place cette société de l'information». M. Grar dira qu'«il est temps maintenant de prendre la décision courageuse qu'il faut et de mettre en place une structure indépendante qui gère les TIC en mettant en place une stratégie claire et publique via Internet pour que les gens sachent exactement ce qu'on veut faire et communiquer les évolutions à travers des standards reconnus par tout le monde». Cela, dira notre interlocuteur, pour éviter «les effets d'annonce et les chiffres erronés annoncés plusieurs fois par différents responsables et qui sont complètement contradictoires». Enfin, souligne-t-il, il faut que l'Autorité de régulation «joue pleinement son rôle en toute indépendance sans aucun lien avec la structure qui doit gérer les TIC, et prendre les décisions qu'il faut lorsqu'il y a des dépassements, et orienter lorsqu'il y a des dysfonctionnements». B. A.