C'est à la salle Cosmos de Riad El Feth que la tournée hommage à Kateb Yacine a pris fin jeudi dernier. Intitulée «cinq escales pour une étoile» cette manifestation pluridisciplinaire a fait le tour de quatre wilayas, Annaba, Souk Ahras, Constantine et Sétif pour enfin se loger à Alger le temps d'une journée dédiée à ce grand homme de la littérature.Face à une présence modeste, cette journée riche en activités s'est enclenchée avec la projection de deux documentaires, Kateb Yacine de Jean Prat et Kateb Yacine, poète en trois langues de Stéphane Gatti. Ce dernier n'a laissé personne indifférent grâce à sa forte émotion et l'intensité de ses images. Organisé par l'agence algérienne pour le rayonnement culturel en partenariat avec les agences ACM et Neef Prod, cet hommage s'est penché sur plusieurs aspects artistiques. Du théâtre à la musique en passant par le cinéma, il est vrai que Kateb demeure un homme inoubliable ayant beaucoup apporté à sa patrie. Une vie dédiée au théâtre Le temps d'une conférence, le professeur Ahmed Cheniki s'est penché sur «le théâtre de Kateb» en relatant son parcours artistique dans le domaine du 4ème art. Un parcours semé d'embûches pour un nouveau genre théâtral qui se dit révolutionnaire. En effet, après la guerre de révolution, Kateb, entouré de ses fidèles compagnons, a su créer pour son peuple un théâtre qui lui parle. Il parle sa langue, traite ses problèmes et exprime fort ce que les gens pensent tout bas. «Kateb a toujours été conscient de la nécessité de son combat face à l'attente du peuple. Le Djeha de Kateb n'est pas celui d'Allalou, il a fait de ce personnage mythique un marxiste et, grâce à cela, il a réussi à toucher le peuple», dira-t-il avant d'ajouter : «Sa disparition a laissé le théâtre orphelin car, depuis, il n'y a plus de théâtre.» Son intervention est interrompue par un membre du groupe Debza, Merzouk, qui soulignera que Kateb n'a jamais visé une élite mais toutes les catégories du peuple algérien en ajoutant que c'était un dramaturge toujours d'actualité, citant l'exemple de la pièce Palestine trahie. Après cette petite intervention, les organisateurs enchaînent avec la projection du documentaire la Troisième Vie de Kateb, réalisé par Ibrahim Hadj Slimane. En 26 minutes, le réalisateur transportera le public dans une ville qui est chère à Kateb. Elle n'est autre que Sidi Bel Abbès et son théâtre. C'est Mahfoud Lakroun, comédien fétiche de Kateb, qui s'exprime au long de ce documentaire sur fond de répétition de la pièce Mohamed, prends ta valise. Il revisite le théâtre lieu par lieu ainsi que les rues de cette ville. Sur les pas de Kateb, il tente de refléter une parcelle de la vie de l'auteur, son amour pour le 4ème art et son engagement. D'anecdote en anecdote, il dévoile l'homme, ses amis et son refuge. Petite surprise, Mahfoud est dans la salle, il rejoint la scène à la fin de la projection pour une lecture théâtrale de l'Etoile assombrie, une création de l'atelier Imagine d'Oran. La musique pour dire son africanité Les organisateurs marquent une petite pause pour rebondir avec une séance musicale animée par le groupe Djmawi Africa. Ayant pour thème «c'est africain qu'il faut se dire», la formation a tenté de revisiter des authentiques diwans mijotés à sa sauce. Au menu, kora, gumbri et percussion. Le groupe transportera le public dans son ambiance spirituelle tant appréciée par celui-ci. Djamil, vocaliste du groupe, interprétera, entre autres, les titres Lila gnaouia, Samaoui, et tentera même de faire une approche de l'ahellil. L'ambiance est euphorique et tout le monde se met à danser avec enthousiasme. Ils céderont par la suite la scène au fils de Yacine, Amazigh Kateb, qui enflamme la salle avec le morceau Ifrikiya et plein d'autres tubes. Les jeunes qui connaissent ses titres par cœur sont aux anges. Avec des textes sarcastiques dans un ensemble musical fusionné, l'artiste a su toucher à sa manière les gens d'une autre génération. Kateb, le bohémien Mais le moment le plus fort de la journée sera sans doute celui de la projection du documentaire Kateb Yacine, l'amour et la révolution de Kamel Dehane. Tel un testament, cette œuvre fera parler Kateb de son enfance, de ses amours, de ses œuvres et de son exil. On découvrira sa passion pour la poésie, un homme solitaire, défenseur de causes humaines, de la condition de la femme, de la popularisation du théâtre mais aussi en combat constant. D'un ton mélancolique, il parle de sa mère, de sa ville natale et de sa scolarité mouvementée. «Dès mon enfance, j'ai compris qu'il fallait être bon en français pour ne pas me sentir inférieur à mes camarades de classe. Ce but-là m'a suivi durant toute ma vie, j'ai compris qu'il fallait dire aux Français dans une langue littéraire ce qui est l'Algérie», dira-t-il. Sur les ruines de sa jeunesse, Kateb se confie à la caméra sans retenue. En ponctuant son documentaire de petites anecdotes, de témoignages de ses amis, le réalisateur a offert au public l'opportunité de pénétrer dans la vie mouvementée de Kateb. Le public découvre aussi la vie intime de Kateb, ses relations avec ses enfants Nadia, Hans et Amazigh. Bien que souvent absent, Kateb a quand même marqué sa progéniture à l'image de Nadia. «Mon père n'a rien d'un père traditionnel ; malgré son absence, j'ai été fière de lui et de ses combats.» Doté d'une sensibilité démesurée, Kateb a aussi toujours tiré profit des situations les plus incommodes comme son séjour en prison. «Quand on sent que la mort est proche de nous, on se confie facilement aux autres. C'est en prison que j'ai découvert la richesse de mon peuple», dira-t-il à la fin de la projection. Le public applaudit chaleureusement l'œuvre et son réalisateur. W. S.