La visite de deux jours du Premier ministre libanais Saad Hariri à Damas, une première, semble ouvrir une nouvelle étape dans les relations entre les deux pays qui entretiennent des rapports spécifiques. La tendance est perceptible. Cette visite a été précédée, quelques jours auparavant, de celle du président libanais Michel Sleimane. Il devait exprimer ses condoléances au président syrien Bachar El Assad après le décès de son frère cadet Majd Hafez. Des signes avant-coureurs prédisposaient à la réconciliation. Le Premier ministre libanais a, dès la formation de son gouvernement, professé sa volonté d'ouvrir une nouvelle page avec le voisin syrien. Le 8 décembre, dans un discours prononcé pour obtenir la confiance du Parlement au nouveau gouvernement d'union nationale, il avait franchi le pas, parlant de la nécessité d'œuvrer à «améliorer les relations bilatérales dans l'intérêt des deux peuples». Les relations Liban-Syrie sont appelées à se raffermir. Au Liban, la visite de Hariri a été saluée par la classe politique qui l'a qualifiée d'«historique», considérant qu'elle ouvre une nouvelle page dans les relations bilatérales restées détestables depuis 2005. L'ancien président libanais Amine Gemayel a pensé que cette visite est destinée à «normaliser les relations bilatérales et à les pérenniser». L'ancien Premier ministre Fouad Siniora a encouragé «l'instauration de relations bilatérales sur des bases solides, fondées sur le respect mutuel et le respect de la souveraineté nationale de chacun». Le parti Hezbollah a, pour sa part, qualifié cette visite d'«historique et [d']importante pour la stabilité politique et l'unité nationale du Liban». L'unanimité est donc perceptible au sein de la classe politique libanaise, ce qui démontre le souci de ne pas couper un lien historiquement fondamental avec le voisin. Cependant, le contentieux entre les deux parties est loin d'être apuré. Les familles des prisonniers libanais en Syrie réclament depuis plusieurs années la libération de leurs proches ou du moins une enquête sur le sort des disparus. En vain. Autre question qui fâche, le Tribunal spécial pour le Liban (TSL), créé en 2007 par le Conseil de sécurité de l'ONU, chargé de juger les auteurs présumés de l'assassinat de Rafic Hariri. Le dossier a été soigneusement évité. «Il est clair que le tribunal relève de la communauté internationale. Le tribunal fait son travail, c'est ce que tout le monde souhaite», dira un diplomate au sein la délégation de Hariri. Les deux premiers rapports de la commission d'enquête de l'ONU, créée après la mort de Rafic Hariri, avaient conclu à des «preuves convergentes» mettant frontalement en cause les renseignements syriens et libanais. La Syrie a démenti toute implication dans l'assassinat, criant aux complots menés tambour battant par des officines occidentales. Le Premier ministre Saad Hariri, qui avait à plusieurs reprises accusé la Syrie voisine, ancienne puissance de tutelle, d'être impliquée dans l'assassinat de son père, n'avait jamais eu de contact officiel avec Damas. Le camp de Saad Hariri, chef de la majorité parlementaire soutenue par l'Occident et l'Arabie saoudite, a remporté contre toute attente les législatives de juin. Le Hezbollah, qui menait l'opposition, paraissait en bonne position pour inverser la tendance au sein du Parlement. L'agression israélienne de l'été 2006 avait sérieusement redistribué les cartes dans un Liban à la vie politique sérieusement enchevêtrée dans le confessionnalisme. Le gouvernement n'a vu le jour que le 9 novembre, après cinq mois d'impasse avec le camp mené par le parti de Nasrallah. Le blocage portait notamment sur les portefeuilles au sein du gouvernement. L'épineuse question de l'arsenal du Hezbollah fait également partie des débats politiques libanais acharnés, des membres de la majorité considérant que l'existence d'armes aux mains d'un parti politique fragilise l'autorité de l'Etat et viole certaines résolutions de l'ONU. Arguments auxquels répondront d'autres acteurs politiques : les armes de la résistance sont tournées uniquement vers l'ennemi et les résistants ne déposeront pas leurs armes sans contrepartie. La partie qui viole les résolutions de l'ONU et menace régulièrement le Liban, c'est Israël. L'Etat hébreu semble ne pas avoir digéré la débâcle de l'été 2006 face aux résistants du Hezbollah. Apres une crise politique aiguë, le gouvernement a finalement adopté une déclaration de politique générale accordant au Hezbollah le droit d'utiliser ses armes contre l'ennemi israélien qui occupe toujours des terres libanaises (fermes de Chebaa). La relation répulsion-attraction entre Beyrouth et Damas peut se poursuivre. Peu après la formation de son gouvernement, Hariri a reçu un télégramme de félicitations de son homologue syrien Naji Otri. Il s'agissait du premier message officiel adressé par les autorités de Damas à Hariri, fraîchement intronisé. Incontestablement, la relation entre les deux pays n'est pas comme les autres. La Syrie a exercé une tutelle sur le Liban pendant près de 30 ans. Elle a été contrainte de retirer ses troupes en avril 2005 sous la pression des Occidentaux, deux mois après l'assassinat de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri. Ce dernier a été tué avec 22 autres personnes dans un attentat à la camionnette piégée le 14 février 2005 à Beyrouth. La disparition brutale d'une personnalité de cette envergure avait fortement ébranlé le Liban et la région. Le pays du Cèdre, qui fonctionne avec un système basé sur le confessionnalisme, est entré dans une phase de tension extrême. Le Liban reste le théâtre d'un bras de fer qui dépasse le cadre national, les puissances régionales y jouant un rôle de premier ordre. En octobre 2008, la Syrie et le Liban ont établi leurs relations diplomatiques pour la première fois depuis la proclamation de leur indépendance il y a plus de 60 ans. La Syrie a ouvert une ambassade à Beyrouth il y a un an. Le Liban a envoyé un ambassadeur à Damas en mars. Une nouvelle ère semble être entamée entre les deux pays. Tendance lourde ou démarche conjoncturelle ? Le futur nous le dira. M. B.