Lutter contre la corruption, c'est l'engagement pris par le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, lors de sa venue à la tête de l'Etat. Mais, apparemment, «les vents soufflent contre le gré des navires» puisque les scandales continuent d'éclater en Algérie. Les lois ont été adaptées, les organes créés et les services de sécurité instruits mais rien ne semble arrêter ceux qui se servent à la louche de l'argent du peuple. La raison ? Le manque de contrôle mais aussi l'impunité dont jouissent certains au vu et au su de tout le monde. En Algérie, il apparaît que la justice n'ouvre une information judiciaire qu'en cas de saisie, de plainte ou après instruction du chef de l'Etat. Et pourtant, le ministère public qui représente la société est obligé d'agir immédiatement dans le respect des lois de la République puisqu'il a l'obligation de s'autosaisir. Dans combien d'affaires le ministère public s'est-il autosaisi ? Très peu et, généralement, il s'agit de délits de presse ! Une presse qui ne cesse, ces dernières années, de révéler des scandales de corruption impliquant de hautes personnalités. Mais aucune information judiciaire ne s'ensuit. Aucune vérification des informations rapportées par les quotidiens d'information avec précisions n'est prise en compte. Les raisons restent incompréhensibles pour les profanes du monde de la justice. De nombreux exemples de la non-autosaisie du ministère public peuvent être cités mais les plus éloquents restent, à n'en pas douter, ceux révélés par l'affaire Khalifa. Lorsqu'une personnalité publique reconnaît par devant un magistrat et un procureur général sa responsabilité et qu'elle n'est pas, par la suite, inquiétée, cela pousse indubitablement à se poser des questions. Quand des noms de hautes personnalités sont cités mais ne sont pas convoqués, au moins pour éclairer la justice dans un procès complexe, il faut aussi se poser des questions. Il faut rappeler à ce sujet qu'au cours du déroulement du procès de la caisse principale d'El Khalifa Bank, le procureur général, M. Abdelli, s'était engagé publiquement à l'époque à poursuivre toutes les personnes impliquées dans ce procès, affirmant que des procédures avaient déjà été entamées pour la poursuite de ceux qui bénéficient du privilège de juridiction. Il faut préciser qu'un juge instructeur ne peut entendre un haut cadre de l'Etat que comme témoin, comme le stipule la loi. Il doit constituer un complément d'enquête dans lequel il demande la mise en examen de ces hauts responsables. Afin que ces derniers puissent être inculpés, le président de la Cour suprême doit désigner un magistrat comme juge instructeur pour ouvrir une enquête. Quelle suite a été donnée à ces compléments d'enquête dans l'affaire d'El Khalifa Bank ? Surtout s'il rappelle le témoignage de Nadia Iouaz Nadjia, la secrétaire et assistante personnelle de Abdelmoumene Khalifa. Il est vrai que ce témoin était gêné de dire certaines choses, de faire des révélations, les mots (plutôt les noms) resteront suspendus à ses lèvres mais certains finiront par être lâchés. Elle affirmera que des personnalités défilaient dans le bureau de Abdelmoumene Khalifa. Reconnaissant qu'elle était responsable de la gestion des cartes de voyage et des billets gratuits, elle finira, sur insistance de la partie civile, par citer un nom… Celui d'un ministre en poste. On se rappelle aussi que Mme Brahimi, la présidente de la séance, avait bien dit à l'avocat de la partie civile : «Vous avez la liste et les noms, maître.» Qu'est devenue cette liste ? A-t-elle été mise au fond d'un tiroir et oubliée ? Malheureusement, il n'y a pas eu que cette liste, il y a eu des témoignages devant le tribunal où les personnes reconnaissent leur culpabilité ou encore leurs erreurs de gestion. Des hauts responsables de l'Etat algérien se sont contentés de déclarer à la justice : «J'assume», «c'est un complot» ou encore «je suis victime d'un lynchage médiatique commandé». Certains responsables, en poste lors des opérations frauduleuses menées à El Khalifa Bank, ne seront même pas appelés à témoigner. Les raisons ? Personne ne peut s'aventurer à en donner. Rappelons également, à titre d'exemple, qu'aucune suite n'a été donnée à l'affaire Bouguerra Soltani. En 2006, l'ex-ministre d'Etat avait affirmé qu'il détenait des noms liés à la corruption en Algérie. Le parquet, dans le sillage du discours du Président, avait décidé de «s'autosaisir» de l'affaire. Bouguerra Soltani devait être entendu par la justice. Théoriquement, on devait se retrouver avec deux possibilités. La première est que les dossiers impliquant des personnalités et des hauts responsables dans des affaires de corruption en Algérie existent vraiment et ils serviront à l'ouverture d'informations judiciaires. Si les dossiers n'existent pas, le président du MSP se retrouvait, du point de vue du droit, dans la posture d'avoir émis des dénonciations calomnieuses. Quatre ans après, qu'en est-il ? Officiellement, aucun suivi n'a été donné à cette affaire. La justice algérienne en est là aujourd'hui. Elle semble piétiner devant certaines affaires, reculer devant d'autres. Même quand certaines informations révélées font état de signes ostentatoires de richesse, la justice ne semble pas s'en inquiéter outre mesure. Pourtant, même dans ce cas, un texte de loi fait obligation à tout agent de l'Etat de faire une déclaration de soupçon. Sans oublier que les agents publics sont tenus de faire une déclaration de leur patrimoine. Une obligation qui ne semble pas respectée puisque rien n'est publié au Journal officiel. Il s'agit bien du piétinement de la loi ! Pour en revenir aux scandales qui entachent l'Etat, le commun des mortels ne cesse de s'interroger sur les accusations qui pèsent sur certains inculpés en en omettant d'autres. Une question simple traverse les esprits : le détournement de milliers de milliards peut-il se faire sans complicités à un haut niveau ? Le silence est la seule réponse qui est donnée au citoyen. Gêne ou mépris ? On ne sait pas. Les tempêtes passent sans susciter la moindre réaction ni de la part des impliqués ni du gouvernement. «Qui ne dit mot consent», affirme le sens commun mais peut-être que les voies de la politique algérienne sont impénétrables ! Sinon pour quelles raisons certains noms cités dans des affaires de corruption continuent-ils à être aux commandes ? L'inaction de la justice devant des cas de corruption ne peut être apparentée qu'au déclin de la loi. En serait-on arrivé là si le garde-fou qu'est la déclaration du patrimoine était appliqué ? En serait-on arrivé là si on avait respecté les mécanismes de prévention et de lutte contre la corruption et laissé agir librement la Cour des comptes ? En serait-on arrivé là si le parquet s'autosaisissait ? H. Y.