«Oui, il y a blanchiment d'argent en Algérie.» En faisant cette déclaration il y a deux années, le président de la cellule de traitement du renseignement financier a enfoncé une porte ouverte, tant il est vrai que d'aucuns savent que les transactions se font à coups de liasses de billets emballées dans des sachets noirs. En promulguant la loi sur le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, l'Algérie s'est voulue conforme aux conventions et autres traités internationaux qu'elle a ratifiés. Dans le but, bien entendu, de mettre un terme au blanchiment d'argent qui sert, notamment pour ce qui concerne le volet sécuritaire, à financer la logistique des terroristes. Une cellule de traitement du renseignement financier a été créée dans ce sens. Toutefois, elle ne doit son opérationnalité qu'aux déclarations de soupçons que lui transmettent les institutions assujetties. Déclarations prévues par l'article 19 de la loi susmentionnée. La disposition concerne «les banques et établissements financiers, les services financiers d'Algérie Poste, les autres institutions financières apparentées, les compagnies d'assurances, les bureaux de change, les mutuelles, les paris et jeux et les casinos. Ainsi que toute personne physique ou morale qui, dans le cadre de sa profession, conseille et/ou réalise des opérations entraînant des dépôts, des échanges, des placements, conversions ou tout autre mouvement de capitaux, notamment les professions libérales réglementées et plus particulièrement les avocats, les notaires, les commissaires-priseurs, les experts-comptables, les commissaires aux comptes, les courtiers, les commissionnaires en douane, les agents de change, les intermédiaires en opérations de Bourse, les agents immobiliers, les entreprises d'affacturage ainsi que les marchands de pierres et métaux précieux, d'objets d'antiquité et d'œuvres d'art». Pourtant, force est de constater que seules quelques banques appliquent cette disposition. Les compagnies d'assurances préfèrent renflouer leurs caisses à travers les gros marchés, tout comme d'ailleurs les commissionnaires en douane. Les avocats se sont, dès la promulgation de la loi, prononcés sur le sujet. En clair, ils ont refusé de manière catégorique de se soumettre à l'article 19 parce que, selon eux, leur rôle est de défendre leurs clients et non de les dénoncer, voire de faire de la délation. Cela étant, tout le monde sait que le foncier et l'immobilier sont des espaces de blanchiment d'argent par excellence. Et ce sont les notaires et les agences immobilières qui sont les plus concernés par cette disposition, en ce sens qu'ils voient quotidiennement des milliards transiter par leurs bureaux respectifs à l'occasion de transactions immobilières. Nous avons déjà eu l'occasion de faire une tournée chez quelques notaires. Le moins que l'on puisse dire, c'est que les salles d'attente sont pratiquement pleines de cartons ou de sacs d'argent. C'est, bien sûr, pour passer une transaction immobilière sans pour autant déclarer l'intégralité de la somme aux impôts qui sont souvent peu enclins à établir des redressements fiscaux. Interrogés sur la manière dont ils appliquent la loi, plusieurs notaires nous ont affirmé qu'ils se contentaient plutôt de vérifier si la législation en matière de commerce, de code civil est respectée par leurs clients. Quant à leur poser la question sur l'origine de leurs fonds ou les soupçonner de payer avec de l'argent produit du crime, il y a loin de la coupe aux lèvres. Ce n'est pas tout. Les notaires auxquels nous nous sommes adressés nous ont explicitement signifié qu'ils n'ont envie ni de «prendre une balle dans la tête» ni de se retrouver ruinés. Puisque, s'ils utilisent la déclaration de soupçons, leurs cabinets risquent de se vider, les clients préférant s'adressant à d'autres moins regardants. Dès lors, quel intérêt y a-t-il à promulguer des lois, prendre des décrets exécutifs ou même législatifs si l'environnement auquel ils sont destinés ne joue pas le jeu. De plus, les pouvoirs publics n'ont pas mis en place les moyens humains et matériels aux fins de contrôler ces officiers publics que sont les notaires. Par ailleurs, il faut signaler que l'obligation du paiement par chèque pour des transactions de 50 000 dinars et plus a été abrogée et qu'aucun autre texte n'est venu la remplacer. Aussi, en dehors des blanchisseurs qui préfèrent passer par les banques en espérant ne pas tomber dans les mailles du filet, tous les autres ont encore de beaux jours devant eux pour continuer à investir l'argent sale dans l'immobilier ou encore à financer les narcotrafiquants ou les terroristes. F. A.