Il y a un peu plus de deux ans, le Parlement algérien adoptait la loi relative à la prévention et la lutte contre la corruption. Un an plutôt, le même Parlement entérinait le texte relatif au blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Des décrets d'application ont été pris par le gouvernement. Qu'en est-il réellement ? En décembre dernier, l'organisation non gouvernementale Transparency Internationale, dans son indice de perception de la corruption, classait l'Algérie à la 99e position sur les 173 pays où les enquêtes sur la corruption ont été menées. Côté pouvoirs publics, les discours sur la lutte contre la corruption et le blanchiment d'argent sont légion. La tolérance zéro est devenue leur devise. Certes, la justice a traité certains dossiers liés à ces fléaux, tels que les affaires Khalifa, BCIA, Union Bank, Fonds algéro-koweïtien pour l'investissement. Mais cela reste minime tant il est vrai que le phénomène a pris de l'ampleur. Bien sûr, la corruption a toujours existé, mais elle n'avait jamais atteint de telles proportions. Aucun secteur n'est épargné. Cependant, les mécanismes mis en place n'arrivent pas à démarrer. C'est le cas de l'Organe national de prévention et de lutte contre la corruption institué par décret en application de l'article 18 de la loi y afférente (venu en remplacement de l'Observatoire de la corruption et dont le rapport annuel n'est pas rendu public) qui n'est toujours pas opérationnel alors que le texte fixant son fonctionnement et son organisation préconise une direction des recherches et des investigations. Le président de la République s'était plaint publiquement de l'absence de décrets relatifs à l'application de la loi et aux mécanismes qui doivent être mis en place et avait instruit le gouvernement de s'y atteler. Mais jusqu'à aujourd'hui rien n'a été fait et on s'interroge sur ce laisser-aller qui fait encore les beaux jours des corrupteurs et des corrompus. Surtout que, depuis quelques années, l'argent coule à flots et les grands projets inscrits dans le cadre du programme de soutien à la croissance économique brassent des matelas financiers mirobolants. Car, faut-il le rappeler, à ce jour aucun bilan n'a été fait de l'utilisation des enveloppes allouées. Infructuosité et gré à gré Il suffit de parcourir la presse nationale pour se rendre compte qu'une multitude d'appels d'offres sont déclarés infructueux. C'est dire que c'est devenu un sport national et ce, dans différents secteurs. On est tenté de s'interroger sur les critères adoptés pour déclarer que tel ou tel appel d'offres a avorté. Dès lors, on se retrouve (faute de transparence) à tirer des conclusions selon lesquelles l'infructuosité étant déclarée les auteurs des appels d'offres privilégieraient le marché de gré à gré. C'est beaucoup plus juteux et c'est là que la corruption intervient. Quant à la procédure d'ouverture des plis, elle est entourée d'opacité en ce sens que des opérateurs non qualifiés sont choisis parce qu'ils ont usé de corruption pour avoir l'information sur les concurrents. La commission d'ouverture des plis ne prend même pas le soin de demander la provenance des fonds servant à la réalisation du projet après consultation des offres. C'est dire que les membres de la commission ad hoc d'ouverture des plis ne sont pas assujettis à la déclaration de soupçon prévue par l'article 19 de la loi relative à la prévention et à la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Une omission des rédacteurs du texte de loi ? Certainement. En tout cas, c'est un vide juridique qu'il s'agira de combler. Sur ce même registre, signalons le rapport établi par l'Association algérienne contre la corruption (AACC) -non agréée mais tolérée- fruit de plusieurs mois d'enquêtes et d'investigations qui met en évidence la corruption dans les différentes wilayas du pays. «[…] Dans les wilayas, daïras et communes, la petite corruption est devenue systémique, dopée par l'argent qui coule à flots : c'est-à-dire qu'elle est la règle et non l'exception ; elle est banalisée. Aucune wilaya, aucune commune n'y échappe. La petite corruption constitue la négation même de l'État dans la seule finalité qui puisse le légitimer, c'est-à-dire la recherche de l'intérêt public. Elle vide les politiques publiques de leur contenu et mine le fonctionnement des services publics les plus indispensables à la vie quotidienne. Dès qu'il y a possibilité d'interaction avec le public, tout service, tout contrôle, tout acte administratif, toute sanction, sont monnayables et passibles de transactions occultes. Bien sûr, les stratégies, tout comme les tactiques utilisées par les acteurs des échanges corruptifs, diffèrent selon les contextes et les enjeux. Parmi les formes de corruption transactionnelle, nous pouvons ranger les différentes commissions que les fonctionnaires reçoivent pour les services d'intermédiation qu'ils ont fournis ou les services illégaux qu'ils ont rendus. Les agents publics partagent ainsi avec l'usager les bénéfices illicites que ce dernier a obtenus grâce à leur intervention. A l'exemple classique des 10% que tout soumissionnaire d'un marché public doit verser aux membres des commissions d'attribution, il faut ajouter des commissions de nature rentière, lorsque, par exemple, l'obtention d'un emploi administratif générateur de gains illicites importants prévoit le versement périodique d'une somme d'argent au supérieur hiérarchique responsable de la nomination […].» Impunité et impuissance L'association présidée par notre confrère Djillali Hadjadj va plus loin dans son rapport en révélant des cas précis de corruption. «Les exemples de violations dans la gestion des marchés publics au niveau des wilayas et des communes sont nombreux. En voici quelques-uns relevés par l'AACC lors de ses enquêtes sur le terrain : spécifications et lotissements orientés des prestations ; limitation de l'information ; non diffusion de l'information au même moment à tous les concurrents ; création artificielle d'ambiance d'urgence pour éviter la mise en concurrence ; non objectivité des critères de qualification ; dissimulation de critères de qualification ; formation d'ententes entre les fournisseurs ; effet de surprise dans le lancement des appels d'offres ; abus de la règle de l'entente directe ; fractionnement artificiel ; sur ou sous-évaluation de l'estimation ; non-respect de la confidentialité des offres avant leur dépouillement ; infructuosité très fréquente dans les appels d'offres, faisant le lit aux pratiques du gré à gré; ‘‘sous-traitance'' des marchés confiées à une faune d'intermédiaires recrutée dans la parentèle des décideurs, ; etc.». En somme, ce que révèle l'Association algérienne contre la corruption est un secret de Polichinelle. D'aucuns sont au courant de ces pratiques. Le plus grave, et c'est impardonnable, c'est que les pouvoirs publics n'en sont pas surpris. Sauf qu'ils favorisent l'impunité par l'absence d'initiative à travers le déclenchement d'enquêtes et autres investigations judiciaires. L'on découvrirait alors, certainement, des scandales autrement plus graves que celui de Khalifa, à l'image des détournements des terres agricoles. Ahmed Ouyahia l'avait d'ailleurs déclaré presque dans les mêmes termes lors d'un meeting qu'il avait animé à Boumerdès à l'occasion de la campagne électorale pour les législatives. C'est qu'il doit savoir de quoi il en retourne, lui qui a eu à diriger l'Exécutif. Déclaration de patrimoine Par ailleurs, presque une année après l'installation de la nouvelle Assemblée populaire nationale, on ne connaît toujours pas le contenu de la déclaration de patrimoine des députés et des membres du gouvernement. Pourtant la loi relative à la prévention et la lutte contre la corruption (article 6) fait obligation «au président de la République, aux parlementaires, au président et aux membres du Conseil constitutionnel, au chef et aux membres du gouvernement, au président de la Cour des comptes, au gouverneur de la Banque d'Algérie, aux ambassadeurs et consuls et aux walis d'effectuer leur déclaration auprès du premier président de la Cour suprême, laquelle doit faire l'objet d'une publication dans le Journal officiel de la République algérienne démocratique et populaire dans les deux [2] mois suivant leur élection ou leur prise de fonction». Or, jusqu'à présent, hormis celle du président de la République, aucune déclaration de patrimoine n'a été rendue publique. Et le Journal officiel, qui devait contenir les informations sur la fortune de ces agents publics, n'est toujours pas paru. De même, aucun organisme chargé de la lutte contre la corruption ou le blanchiment d'argent n'a demandé de comptes à ceux des agents publics qui n'ont pas été reconduits dans leurs fonctions ou réélus. Pourtant, la différence dans le train de vie de certains entre le moment de la prise de fonction et le départ est criante. Elle ne saurait se justifier par le seul pécule perçu pendant l'exercice. Le secteur privé n'est pas en reste. Concernés par la loi de février 2006, les opérateurs ou les entités privées n'ont pas pour l'instant été inquiétés ou fait l'objet d'enquêtes. Pour sa part, la Cellule de traitement du renseignement financier peine à faire adhérer les assujettis à la déclaration de soupçon à la lutte contre la corruption, le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. En effet, pour reprendre les propos de Abdelmadjid Amghar, dirigeant de cette cellule, ce sont souvent les banques qui jouent le jeu. Les avocats d'affaires, les notaires, les commissaires aux comptes, les assurances, pour ne prendre que ces exemples, ne coopèrent pas avec la CTRF. Ce qui les rend parfois complices d'opérations douteuses. Aussi, la cellule s'est-elle résolue à adopter une autre méthode pour faire adhérer les assujettis en organisant des rencontres de sensibilisation.
Etats receleurs Sur le plan international, très peu de coopération entre les Etats pour les recouvrements d'avoirs, prévus par la convention internationale contre la corruption et celle sur le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Pourtant, il n'est un secret pour personne que, souvent, les capitaux «expatriés» constituant des fortunes astronomiques, produits de crimes ou de corruption, dorment dans des banques étrangères. Une situation pour le moins étrange quand on sait que la plupart des pays membres de l'OCDE (où sont situées les grandes banques) sont membres du GAFI (Groupe d'action financière contre le blanchiment d'argent) et que d'autres Etats (certains pays arabes, dont l'Algérie) sont des membres associés et adhérents au GAFIMOAN (Groupe d'action financière du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord). L'absence de coopération avec les demandeurs de recouvrement d'avoirs, surtout ceux spoliés aux peuples, met les Etats requis dans une position de receleur. Lors de la dernière conférence sur la corruption, ce débat a été ouvert. La délégation algérienne, dirigée par le président de la Cellule de traitement du renseignement financier, s'est proposée de rédiger une résolution pour sensibiliser les pays (parties à la convention internationale) pour apporter toute l'aide pour le recouvrement des avoirs. Elle sera examinée lors de la prochaine conférence prévue vers la fin de l'année en cours. Il n'est d'ailleurs pas exclu que la prochaine rencontre décide de sanctionner les pays qui se rendent coupables de recel. F. A.