La puissance d'un Etat ou sa faiblesse se mesure à la capacité de ses collectivités locales à répondre aux besoins de leurs citoyens. Autrement dit, la puissance d'un Etat ne peut s'exprimer sans un rôle majeur des Assemblées populaires communales (APC). La forte centralisation des pouvoirs et des prérogatives, exacerbée par la bureaucratie endémique, le clientélisme, la corruption, les passe-droits, a indéniablement diminué le rôle de ces structures de proximité élues, censées être le vis-à-vis des citoyens, dans la mesure où, en théorie, elles sont l'expression de la volonté citoyenne. Neuf mois après les élections du 29 novembre, qui ont vu les Algériens élire leurs représentants au niveau des Assemblées communales, ces derniers ont-ils mieux répondu aux doléances de leurs électeurs que leurs prédécesseurs ? La réponse est désespérément négative. D'El Kala à Maghnia, en passant par Oran, Alger, Tizi Ouzou, Béjaïa, Sétif, Constantine ou Tamanrasset, les administrés sont quasi unanimes. Rien n'a changé. Dans la majorité des communes du pays, ceux qui ont été portés à bout de bras par les électeurs qui espéraient des lendemains meilleurs font du surplace. Rares sont ceux qui ont pris à bras-le-corps les préoccupations de leurs administrés ou encore le développement du territoire dont ils ont la charge. Plus rares encore sont ceux qui parviennent à relever de tels défis. Certes, neuf mois ne suffisent pas pour tirer des conclusions ou à élaborer un bilan exhaustif, mais ces quelques mois suffisent amplement à annoncer la couleur des nouvelles assemblées. Les élus, fraîchement installés, se défendent d'être incompétents et dénoncent la limitation de leurs prérogatives et l'ingérence des administrations, notamment les daïras et les wilayas. L'objectif est alors de réfléchir aux mesures utiles et nécessaires pour restituer aux communes leurs missions véritables et, par voie de conséquence, toutes leurs prérogatives. C'est un fait connu et reconnu que, pour moult raisons, les prérogatives des élus locaux ont été diluées, au point de faire des maires et autres élus des APC des subordonnés contraints des «autorités locales», c'est-à-dire les chefs de daïra et les walis. De sorte que, depuis plusieurs années, les élus, de quelque obédience qu'ils soient, sauf quelques rares exceptions, ont développé une culture de la soumission et de l'exécution des consignes qui exclut tout esprit d'initiative. Cette problématique du statut et du rôle des élus est désormais fondamentale car elle cristallise, à part entière, les vrais enjeux de la réforme des structures de l'Etat et de la démocratisation progressive de ses institutions. Dans les pays développés, le maire est un mandaté à l'écoute attentive des problèmes de ses électeurs. Il les consulte régulièrement pour des problèmes intéressant la collectivité. Il tient compte de leurs attentes ainsi que de leurs besoins. Loin d'être phagocyté par une clientèle qui se dispute âprement les terrains et les logements présents et futurs, il se projette dans une vision anticipatrice des problèmes que le développement de la commune ne manquera pas d'engendrer. Tel n'est pas et n'a jamais été le cas dans notre pays. Totalement amputée de sa dimension politique, la commune est pilotée à vue, quand elle n'est pas abandonnée à elle-même. Chômage, pauvreté, misère même y prospèrent à vue d'œil, dans un silence et une indifférence que rompt, parfois, la culture de l'émeute que les citoyens ont adoptée, à leur corps défendant, pour pouvoir se faire entendre. Cependant, les élus déclinent toute responsabilité dans cet état catastrophique. Si l'on en croit leurs assertions, tous les blocages sont dus au code communal qui soumet les délibérations au bon vouloir des walis. Peut-on, toutefois, se contenter de jeter la pierre aux pouvoirs publics ? La bonne volonté, le pouvoir de persuasion, l'aide de la population locale ne sont-ils pas des atouts majeurs pour contourner ces lois sans les violer ? Les partis politiques ne supportent-ils pas une part de responsabilité dans cet état des lieux ? Si, avant 1990, les collectivités locales obéissaient à un ordre du parti unique et du parti-Etat, le multipartisme instauré par la Constitution du 23 février 1989 n'a pas vraiment modifié le fonctionnement des APC. Le premier mandat des collectivités locales multipartites a plus servi le parti dissous que l'intérêt public. Quant «au règne» des DEC qui s'est étendu sur cinq années, soit de 1992 à 1997, il a été le pire moment des collectivités locales, caractérisé par des dilapidations à grande échelle du foncier agricole et urbain au détriment d'un plan national d'aménagement du territoire resté lettre morte. L'Algérie en pâtit encore. L'urbanisation anarchique a connu un développement effréné pendant cette période de crise sécuritaire, politique et économique marquée par l'absence de l'Etat des collectivités locales, laissées à la merci d'une mafia qui a creusé davantage le fossé entre l'Etat et les citoyens et a discrédité la puissance publique. Le retour à la légitimité des urnes n'a été, en fait, que de la poudre aux yeux, puisque les élections locales d'octobre 1997 ont été caractérisées par une fraude massive sans précédent, rééditant ainsi la fraude des législatives de la même année. Sur le terrain, les APC n'ont pas été à la hauteur des attentes citoyennes ni fidèles à leurs promesses électorales. Si on accorde aux élus des différents partis, notamment ceux de l'opposition, les circonstances atténuantes des handicaps liés à l'hégémonie de l'administration locale représentée par les daïras et les wilayas, il n'en demeure pas moins que bon nombre d'élus ont géré plus leurs affaires personnelles que les préoccupations réelles des citoyens et les besoins des communes et des wilayas. Les émeutes qui ont secoué les années 1999, 2000 et 2001 et qui continuent à secouer l'Algérie de 2008, sont l'expression naturelle d'une colère citoyenne contre l'absence de programme de développement local mais aussi contre les élus locaux et leur manière de gérer ces entités régionales. Ainsi, il est aisé de conclure que la faillite des APC ne s'explique pas uniquement par les limites des codes communaux, elle reflète également l'incompétence des élus et leur manque de probité dans la gestion des affaires publiques. G. H.