De nouvelles assemblées locales seront installées au lendemain du scrutin du 29 novembre et devront s'atteler à mettre en application leur programme de campagne. Les attentes de la population sont importantes et les appréhensions des futurs élus quant à la difficulté de leur mission se sont accentuées. Que reste-t-il des prérogatives des élus locaux et quelle aide peuvent-ils trouver auprès de l'administration locale, notamment la daïra ? Même si l'on ne trouve aucune trace de cette autorité intermédiaire dans le texte du code communal, qui évoque plutôt l'autorité de wilaya, l'on assiste à chaque mandature à un étrange corps-à-corps entre la daïra et la commune. En sollicitant l'avis des édiles sortants, l'on constate la place de l'administration de daïra chez les élus locaux. Conçus pour rapprocher la population des pouvoirs publics, les services déconcentrés de l'Etat sont perçus par les exécutifs communaux comme une « entrave bureaucratique supplémentaire », qui fait perdre du temps et de l'argent. L'unité de temps, c'est le trimestre, dont les deux tiers sont pris dans l'acheminement du courrier entre la daïra et la wilaya et inversement. L'argent, ce sont des milliards débloqués en projets sectoriels et reversés en fin d'exercice au Trésor public, faute de réalisation. Au vu du tableau dressé par les élus locaux sur les conditions d'exercice de leur mandat, il apparaît qu'une victoire électorale n'est rien d'autre que le début d'un échec. Dépouillés de leurs prérogatives, lâchés dans le vide par les administrations publiques, les élus locaux collectionnent les ratés et récoltent la colère d'une bonne partie de leurs administrés. La fermeture des sièges d'APC est devenue, ces dernières années, le moyen d'expression le plus répandu au sein des comités des villages. Tout est fait pour que le développement local soit bloqué et pour que la moindre réparation sur le réseau AEP ou la réfection d'une route dépassent les moyens d'un Etat pourtant riche, qui croule sous les recettes pétrolières. La réalité du terrain Au début était la loi, celle du 7 avril 1990, relative à la commune et à l'Assemblée populaire de wilaya. Le texte confère à la commune la mission de développement tous azimuts. « La commune élabore son plan de développement à court, moyen et long termes », stipule l'article 86 du code communal. L'assemblée locale a des missions de développement dans tous les secteurs. « La réalisation des établissements de l'enseignement fondamental relève de la compétence de la commune » (art. 97). « La commune prend en charge la réalisation et l'entretien des centres de santé et des salles de soins » (art. 100). Non seulement les communes ne construisent plus d'écoles, mais elles n'arrivent même pas à chauffer les salles de classe en hiver. Des salles de soins construites en d'autres temps sont laissées à l'abandon, les communes ne pouvant même pas assurer le gardiennage. Entre la vocation inscrite dans les textes et la réalité du terrain, le fossé est devenu abyssal. Les budgets affectés par les autorités centrales à des communes en majorité sans ressources couvrent essentiellement les salaires et les dépenses obligatoires, comme le carburant. Ces dernières années, l'administration a choisi la facilité en allouant la même cagnotte aux communes, qu'elles soient peuplées de trois mille ou de trente mille habitants. D'autres chapitres du code communal fixent de nombreuses compétences que les assemblées locales n'exercent plus. Des dispositions réglementaires, en relation avec la sécurité, sont abrogées dans les faits, avec la mise en place des lois liées à la conjoncture nationale. L'article 74 de la loi stipule : « Le président de l'Assemblée populaire communale peut, en cas de besoin, requérir les forces de police ou de Gendarmerie nationale territorialement compétentes suivant les modalités définies par voie réglementaire. » Dans les faits, le président d'APC ne peut pas requérir le moindre garde communal même en cas d'agression physique au siège de l'APC. « Un plan Orsec ne peut pas être enclenché au niveau de la commune parce que les services de sécurité ne répondent pas », indique le P/APC sortant d'Aghrib (RCD). Des instructions de l'administration centrale ne trouvent pas d'application sur le terrain pour les mêmes raisons. Au plus fort de la menace de la grippe aviaire, l'APC d'Aghrib n'est pas arrivée à requérir la force publique pour faire expulser un marchand de volailles d'un marché hebdomadaire. « Ce sont les employés de la commune qui ont accompli cette tâche », rappelle l'ex-P/APC, M. Yermèche. Pourtant, la responsabilité de la commune est engagée vis-à-vis de l'Etat « lorsque les précautions prévues à sa charge par les lois et règlements ne sont pas prises » (art.140). Ce n'est pas le statut oublié d'officier de police judiciaire que les P/APC regrettent le plus. Ce sont les blocages bureaucratiques, entravant la gestion des affaires les plus anodines, qui exaspèrent les élus locaux. Notre interlocuteur, l'ex-P/APC d'Aghrib, cite un épisode lamentable où une délibération a été gratuitement bloquée par la daïra d'Azeffoun. « Nous avons décidé en assemblée d'affecter un excédent de recettes pour prendre en charge des factures de la commune. Le refus de la daïra a traîné pendant trois mois. Le temps que notre recours soit accordé par la wilaya (DAL), le budget supplémentaire était déjà arrivé », déplore M. Yermèche. Les problèmes liés à l'interprétation des textes et au retard dans le transfert du courrier seraient évités si la commune s'adressait directement à la wilaya, affirme notre interlocuteur. Parfois, c'est la guerre des prérogatives, entre le chef de daïra et l'élu local. Ce dernier doit s'affirmer, dans pareil cas, pour faire reculer les interférences du représentant de l'administration. L'ex-élu d'Aghrib cite le dossier de l'habitat rural. « Nous avons refusé de toucher aux listes des bénéficiaires de l'aide à l'habitat rural, comme le voulait la daïra. Nous avons estimé que l'administration devrait assouplir les procédures et bousculer ses services techniques au lieu d'exclure les citoyens qui n'arrivent pas à lancer leur construction », dit M. Yermèche. En lieu et place de la coercition et des lenteurs administratives, la commune aurait voulu trouver plus de coopération auprès de la daïra. Manque de moyens Les requêtes dorment dans les tiroirs. « Nos doléances au sujet de l'AEP, des travaux publics et de l'agriculture n'ont jamais abouti. La daïra d'Azeffoun aurait pu appuyer nos demandes auprès des subdivisions limitrophes, desquelles nous dépendons en matière de routes, d'eau et d'agriculture. Nos correspondances se perdent en cours de route », déplore notre interlocuteur. C'est la rareté des moyens qui met la commune dans cette position d'attente, de dépendance. Parce que inscrit à l'indicatif de l'administration des travaux publics, en projet sectoriel, la réalisation de deux simples ouvrages sur la RN 71 n'a pas été achevée depuis un an et demi. « Nous l'aurions réalisée en deux mois, si l'opération a été affectée en programme communal », souligne l'ex-P/APC. Même son de cloche auprès des élus de l'autre parti d'opposition qui a eu à gérer les affaires publiques, le FFS. « La gestion des affaires de la wilaya échappe au contrôle des élus », nous dit le président d'APW par intérim, M. Aït Ali. La commission d'enquête mise en place par l'Assemblée populaire de wilaya au sujet de l'exploitation des agrégats de l'oued Sébaou n'a pas eu accès à toutes les informations en relation avec le dossier, déclare-t-il. « Les services concernés ne nous ont transmis que ce qu'ils ont voulu nous transmettre. Nous ne savons pas, par exemple, si les sablières se sont conformées au cahier des charges s'agissant du volume d'extraction », souligne M. Aït Ali. L'APW a exercé cette prérogative de constituer une commission d'enquête, mais sans influer sur le cours des événements et le processus décisionnel. « Elle (commission) présente les commissions de l'enquête à l'Assemblée populaire de wilaya. Le président (de l'APW) en informe le wali et le ministre de l'Intérieur », stipule l'article 57 du code de wilaya. Les élus ont juste le rôle d'« informer », puis de reprendre leur siège. L'administration se saisit des conclusions pour les laisser en dormance aussitôt. « L'élu à l'APW peut prendre une initiative mais ne peut pas décider. Nous ne sommes qu'un organe délibérant, et seule une décentralisation des pouvoirs peut conférer à l'APW un pouvoir exécutif, seule manière d'améliorer la situation et le vécu des populations », note M. Aït Ali. Mais c'est compter sans le retour récurrent au pouvoir d'Ahmed Ouyahia, « chantre de la centralisation ». Le P/APW accable l'ex-Premier ministre qui a « procédé à la réduction des prérogatives des élus par touches successives ». Dans la distribution des logements, c'est le chef de daïra qui préside la commission d'attribution au niveau local et le wali préside la commission de recours. Le conseil d'administration de l'agence foncière de wilaya, mise en place malgré la vaine opposition du FFS, est présidé également par le wali, le P/APW n'étant que simple membre. Parfois, le FFS, majoritaire à l'APW, se met en phase avec le RCD, pour se pencher sur une question de l'heure intéressant la population, mais finissent par plier, de concert, devant l'autorité de wilaya. En mars 2006, à l'initiative du RCD, un débat sur l'insécurité dans la wilaya a été inscrit à l'ordre du jour d'une session de l'APW. « L'administration a sorti l'arme fatale de l'état d'urgence pour nous signifier que la question sécuritaire dépassait les attributions de l'APW », indique le président intérimaire. Parfois, le dossier n'a rien de sensible et l'avis de l'administration est pareillement négatif, sous une forme moins directe. Comme le refus de délivrance de visas, en 2003, à des intervenants étrangers invités par l'APW à un séminaire international sur le développement local devant se tenir à Tizi Ouzou. La rencontre n'a pas eu lieu. « Tout ce qui vient de l'opposition démocratique est suspect aux yeux de l'administration, même quand il s'agit d'une simple rencontre d'économistes et d'universitaires à propos des questions de développement », souligne M. Aït Ali.