Au troisième jour du début de la plus vaste offensive des soldats étrangers contre les talibans dans le sud de l'Afghanistan, les responsables de l'OTAN ont affiché une nette satisfaction des progrès enregistrés en si peu de temps. Hier, les forces internationales et afghanes ont assuré avoir repris le contrôle de la quasi-totalité de Marjah et de ses environs. Selon le commandement de l'armée afghane, qui a mobilisé plus de 4 400 soldats aux côtés de 15 000 soldats étrangers (en majorité des Américains et des Britanniques), les talibans ont fui vers d'autres contrées. «Mais la menace des engins explosifs artisanaux demeure», a précisé le général Patiani, qui s'exprimait à Lashkar Gah, la capitale de la province du Helmand, où est nichée Marjah, ont rapporté les médias. L'opération militaire sur la ville de Marjah devait se terminer à la fin de la journée d'hier, ont assuré des responsables du ministère de la Défense afghan. Cela ne semblerait pas être le cas, à en croire les déclarations de certains soldats américains qui reconnaissent l'existence d'une véritable résistance talibane dans cette zone où la culture du pavot constitue une source de revenus aussi bien pour les rebelles que pour les cartels de drogue dans le pays. Autrement dit, des insurgés qui n'ont aucun lien idéologique avec les rebelles talibans et militants affiliés à la présumée nébuleuse islamiste El Qaïda opposent aussi de la résistance aux forces internationales pour sauver leurs intérêts dans cette région du pays, majoritairement habitée par des Pachtouns. L'actuel président afghan, Hamid Karzai, est issu de cette tribu qui, comme les autres tribus afghanes, refuse toute ingérence étrangère dans les affaires de leur pays. L'offensive engagée donc dans le sud de l'Afghanistan risque de s'inscrire dans le temps, ce qui sera dommageable sur le plan social et économique pour un pays déjà en ruine. Les déclarations euphoriques des responsables militaires de l'OTAN devraient être prises avec des pincettes. Car, d'un moment à l'autre, les talibans sont sur leur terrain de chasse et peuvent infliger des pertes incommensurables aux forces de l'OTAN. Le recours aux engins explosifs artisanaux est l'une des techniques employées par les talibans pour retarder l'avancée des forces mixtes. Par ailleurs, l'appartenance du président Karzai à la communauté pachtoune ne suffit pas pour renverser les rapports de force en faveur des soldats étrangers. Le faible taux de participation des Pachtouns à la dernière élection présidentielle indique à lui seul le refus par les Afghans de participer à une guerre qui les a réduits à la mendicité. L'absence de coopération de la part de la population afghane rend la tâche des soldats étrangers plus ardue. Les autorités de Kaboul et les responsables de l'OTAN sont conscients de cette réalité mais feignent de l'ignorer en persistant à livrer une guerre que leur propre camp croit perdue d'avance. Les nombreux observateurs, qu'ils soient simples citoyens ou spécialistes de la question afghane, se sont demandé à maintes reprises à quoi servait l'envoi de près de 40 000 soldats supplémentaires dans ce qui est communément appelé le «cimetière des grandes civilisations». Deux réponses ont été apportées à cette interrogation qui a suscité un vif débat au sein de la communauté internationale. Une partie de l'opinion considère que ces renforts sont l'unique solution pour rétablir la paix et la sécurité en Afghanistan et relancer le développement économique de ce pays, en guerre depuis près de quatre décennies. Mais ce n'est pas ce que croit une autre partie de cette opinion qui affirme que les Etats-Unis veulent sortir du bourbier afghan pour minimiser les pertes humaines et financières de presque neuf ans d'occupation illégale de ce pays du sud-ouest de l'Asie. La défection en 2006 d'un soldat britannique qui a refusé de retourner sur le terrain des opérations a conforté cette thèse et le camp de ceux qui avaient dénoncé dès le début cette guerre. Le caporal Joe Glenton, 27 ans à l'époque, avait était loin en condamnant cette guerre publiquement, déclarant dans une lettre adressée au Premier Ministre britannique que «la guerre en Afghanistan ne réduit pas le risque terroriste et, loin d'améliorer la vie des Afghans, sème la mort et la désolation dans tout le pays. La Grande-Bretagne n'a rien à faire dans ce pays». D'autres voix comme Joe Glenton (accusé de désertion) se sont élevées pour dénoncer une guerre qui avait pour seul but l'accaparement des richesses souterraines de ce pays appauvri par les conflits internes successifs et les guerres d'invasion, soviétique en 1979, puis américaine en 2001. La multiplication des bavures militaires sur les civils afghans a discrédité un peu plus les forces de L'OTAN, coupables d'avoir bombardé sciemment des villageois afghans, prétextant des attaques contre des caches de talibans à travers de nombreux villages abandonnés dans les montagnes. Rien que pour cette nouvelle vaste offensive, pas moins de douze civils ont été tués par les forces mixtes qui trouveront sûrement des explications pour se laver les mains de leurs crimes contre une population qui n'aspire qu'à vivre en paix et qui n'attend rien de l'actuel gouvernement afghan, gangrené par le népotisme et la corruption. Officiellement, le président Hamid Karzai a averti contre toute bavure contre les civils mais il est incapable d'agir efficacement sur le terrain, sachant que sa légitimité ne tient qu'à un fil, détenu par les Américains et leurs alliés qui voient en lui l'homme idéal pour sauvegarder leurs intérêts. L'exemple de ce qui s'est passé en Irak illustre la stratégie d'invasion américaine en Afghanistan. Le peuple afghan en est conscient, ce qui explique son refus de combattre les rebelles talibans. Pis, nombreux sont les villageois ayant rallié le camp des insurgés talibans qui contrôlent presque deux tiers de la superficie totale du pays. En somme, la pacification de l'Afghanistan ne se fera pas en une seule opération militaire comme celle qui vient d'être lancée dans le sud du pays. Le rétablissement de la paix en Afghanistan passerait probablement par le recours à la réconciliation avec les talibans et le retrait total des forces étrangères du pays. Mais qui peut convaincre les parties impliquées dans ce conflit de se mettre autour d'une table et de négocier dans la sérénité ? L. M.