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Le double standard, norme de l'Etat français Projet de loi criminalisant le colonialisme en Algérie et loi sur les "bienfaits" du colonialisme en France
Les relations entre l'Etat algérien et l'Etat français n'en finissent pas de produire des rebondissements. Le projet de loi criminalisant le colonialisme que comptent introduire des députés algériens en est une nouvelle occasion ou un nouveau prétexte. Les commentateurs et observateurs ne se sont pas trompés en les qualifiant de feuilleton. L'image rend bien cette impression que la guerre qu'on croyait achevée en 1962 ne l'est toujours pas. Quelle aurait été la bonne expression ? Pas tout à fait achevée ou pas du tout achevée ? Car le bons sens, la raison ordinaire aurait voulu que l'indépendance algérienne soit la date à laquelle l'histoire a rendu son jugement : de la guerre de libération est sorti un vainqueur. Et pas seulement un vainqueur politique car il faut souffrir des limites d'un Massu pour opposer au résultat de cette guerre quelques résultats militaires obtenus sur le terrain en oubliant la disproportion des moyens et en oubliant surtout les buts que nous nous sommes assignés. A aucun moment et dans nul document, l'ALN ne s'est fixé comme objectif la destruction de l'armée française ; mais la réalisation de la libération de l'Algérie, la destruction du système colonial, l'indépendance. Mais c'est bien l'armée française et l'Etat colonial qui prétendaient à la destruction de l'ALN, des maquis et de la résistance urbaine. Leur but était le maintien de l'Algérie française. Inutile de revenir sur les moyens engagés et sur les méthodes utilisées. Aucune personne - absolument aucune- normalement constituée ne peut tirer d'orgueil de «résultats militaires» obtenus dans cette disproportion des moyens. Avec huit cent mille soldats mobilisés au plus fort de la guerre, la France coloniale a réussi ce ésultat hallucinant de mettre un soldat pour dix Algériens, femmes, enfants et vieillards compris ! C'est un taux d'encadrement militaire et répressif jamais atteint dans aucune guerre coloniale et peut-être dans aucune guerre dans l'histoire de l'humanité -seule la répression israélienne approche cet encadrement ahurissant ! La défaite de l'Etat colonial français n'a pas été que politique. En négociant avec l'ALN ou ses institutions civiles et en signant les Accords d'Evian elle reconnaissait la légitimité de la lutte de libération nationale, celle de l'ALN, et reconnaissait l'inanité de ses accusations et de sa propagande à l'endroit de nos combattants. Nous pouvions naïvement croire qu'en 1962 la guerre était finie et que des gens auraient le bon sens d'en accepter le résultat ; un peu comme - puisque nous vivons la fièvre du football – les footballeurs fair-play. Car le moins que nous pouvons reprocher à cette France coloniale, c'est son manque de fair-play ; elle tente en permanence de rejouer le match de la guerre de libération sans en déclarer les lieux ni les règles. Il faut répéter que nous devons être bien naïfs pour ne pas nous rappeler que la France coloniale ne nous a jamais gouvernés autrement que par le «bâton ou par la ruse», selon la formule d'Aragon. Nous pouvions naïvement croire qu'en 1962 la guerre était finie ; c'était oublier que la guerre n'est qu'une des modalités de la politique et la guerre, la seule modalité de réalisation du projet colonial. A notre décharge -dans cette naïveté qui nous apparaît aujourd'hui bien coupable- nous avions un besoin vital, au sortir de sacrifices incommensurables, et d'une répression proprement inhumaine- de ne pas tout à fait désespérer des hommes ni de la raison. Nous avions tort. Nous n'avions pas pu ou voulu, à cause de sa cruauté, retenir la principale leçon d'histoire que nous avait administrée le colonialisme : les systèmes de domination impérialiste et colonialiste sont implacables. Le meurtre, la sujétion, la chair et le sang des autres sont leur carburant et leur raison d'être. Nous avons, aujourd'hui, infiniment moins d'excuses qu'en 1962 de ne pas comprendre que, si la guerre comme modalité de la réalisation coloniale a été perdue par la France coloniale, elle n'était qu'une séquence, un moment de son accomplissement. Il lui restait la ruse, la manipulation, la mystification dans toutes les facettes de ses relations avec des choix économiques et commerciaux au «travail» sur les plans culturel et celui des idéologies et des représentations. Il est bon de rappeler, au moins dans ce dernier domaine, quelques-uns des stratagèmes de la France néocoloniale autour de cette question du projet de criminalisation du colonialisme que comptent déposer certains députés. Eric Besson s'est ému d'un projet de loi présenté par des députés algériens et qui vise à criminaliser le colonialisme français. Pourquoi spécialement français d'ailleurs ? Le colonialisme est un crime, quels que soient les pays qui l'ont initié et pratiqué. Il est un crime, en soi ; un acte de violence permanente et un projet d'extermination. Faudra-t-il rappeler que de nombreux peuples n'ont pas survécu à l'occupation coloniale, notamment les peuples amérindiens ? Le colonialisme est par essence génocidaire et s'il n'a pas provoqué les mêmes résultats qu'aux Amériques et aux Caraïbes ou dans d'autres régions du monde, ce n'est pas faute d'avoir essayé. D'autres facteurs l'en ont empêché en fonction de conditions diverses et d'impératifs économiques qui l'ont limité. Et là où ces conditions et ces impératifs l'en ont empêché, le colonialisme a renvoyé les survivants dans l'enfer de l'esclavage et sous le statut d'inférieurs à vie, régis par les différents codes de l'indigénat, codes d'un état d'exception permanent. En termes d'esclavage, de massacres et de réduction des colonisés à des modalités infrahumaines, le palmarès du colonialisme restera inégalé par l'ampleur des crimes. Il restera inégalé par la permanence du crime. L'Algérie a été de ce point de vue une terre martyre, mais pas seulement l'Algérie. Le colonialisme a été synonyme de guerre permanente contre des peuples. Ce n'est pas compliqué, un crime est un crime. Comment peut-on se mobiliser pour faire admettre, avec trois cent mille morts supposés, qu'il y a eu crimes de guerre, crimes contre l'humanité et actes de génocide au Darfour et refuser des qualifications pour le colonialisme qui a fait des centaines de millions de morts ? Est-ce si compliqué que cela de dire que la torture était un crime, que les enfumages du Dahra étaient un crime, que le napalm sur les villages était un crime, que la répression du 8 mai 1945 était un crime, que le code de l'indigénat était un état d'exception permanent imposé aux indigènes et que c'était un déni des droits humains, que le séquestre était une spoliation et un crime, que la dépossession était un pillage et un crime, etc. ? Est-ce si compliqué que cela de dire aux pieds noirs que le code de l'indigénat était une injustice permanente, un abaissement permanent de l'indigène et que cela ne pouvait durer sans que les indigènes cherchent et trouvent la voie de leur émancipation en dépit de ce code scélérat ? Est-ce si compliqué que cela de dire aux militaires que leur guerre a été sale et qu'elle a visé un peuple démuni de tout ?Evidemment, sur le plan rationnel, ce n'est pas compliqué du tout. S'asseoir face à un ancien ennemi et lui dire «nous avons fauté sur les buts et sur les méthodes ; nous avons commis des injustices et des crimes et tout cela peut se réparer pour nous permettre de voir les choses différemment, construire une autre relation». Y compris en parlant avec les pieds-noirs franchement : cela pouvait-il durer de réduire un peuple algérien si ancien dans un état de sujétion et dans une misère si profonde avec le déni de sa culture, de sa langue, de sa civilisation ? C'était la condition pour tourner la page. A l'émotion d'Eric Besson, il faut rajouter la réaction de Bernard Kouchner. En voulant calmer le jeu -la loi n'est qu'un projet et l'Exécutif algérien ne s'est pas prononcé- il aggrave les choses. Cela ne s'arrête pas là.Le secrétaire d'Etat français à la Défense et aux Anciens Combattants, Hubert Falco, enfonce le clou. Il trouve que cette proposition de loi est «particulièrement inquiétante et même outrancière». Arrêtons-nous là un instant. A Besson, à Kouchner, à Falco, nous devons rappeler que l'Etat et le Parlement français ont finalisé l'adoption d'une loi sur le colonialisme appelée loi du 23 février 2005. Cette loi réaffirme la légitimité du colonialisme en lui trouvant des aspects positifs. Elle visait aussi à encadrer l'écriture de l'histoire dans ce sens. Elle n'a pu réaliser ce dernier but que grâce à la forte résistance de quelques secteurs de l'opinion française et d'historiens auxquels nous n'avons pas -une fois de plus- rendu l'hommage nécessaire. La question que nous nous posons est simplissime : pourquoi avez-vous le droit d'adopter une loi sur le colonialisme et pas nous ? Pourquoi vous est-il permis ce que vous nous refusez ? Vous nous êtes supérieurs, vous êtes d'une autre texture, vous avez en charge la conscience du monde ? Qui êtes-vous pour vous arroger la direction de notre conscience ?Question simplissime car elle révèle ce qui n'a jamais cessé d'être le sentiment réel et si profond qu'ils en sont inconscients : le sentiment de leur supériorité. Kouchner serait outré si on lui rappelait que tout sentiment de supériorité relève du racisme. C'est du racisme. Et il faudra bien qu'il réponde à la question pourquoi le droit pour lui d'initier et d'adopter une loi sur le colonialisme et pas pour nous ? Hier encore le ministre français du Commerce faisait des commentaires au Sénat français sur la loi de finances complémentaire comme si l'Algérie était un département français ou un territoire d'outre mer. Bien sûr, il reste à regarder de notre côté pourquoi et comment avons-nous laissé s'instaurer des rapports qui ont pu laisser croire à l'Etat français qu'il n'avait même plus à prendre de gants pour traiter avec nous. Car, dans la déclaration de Kouchner, il y a de l'injure. Sa déclaration est claire : il n'y avait pas à s'inquiéter d'un projet de loi du Parlement algérien car seul compte l'Exécutif : entendez par là que le Parlement algérien est une institution croupion et que ce projet n'est qu'une manœuvre dans le jeu d'échecs entre Paris et Alger. En admettant que le Parlement algérien ne pèse pas lourd dans la vie politique du pays, les Algériens, et seuls les Algériens, sont en droit de le dire et de juger de sa crédibilité. L'avis de Kouchner n'est donc pas seulement une injure à laquelle doivent répondre les parlementaires algériens, elle est un acte d'ingérence. Elle est aussi la parfaite expression de sa politique et de celle de l'impérialisme : le double standard dans les droits reconnus aux uns et aux autres. M. B.