Photo : S. Zoheir Par Samir Azzoug Est-ce la fin d'un «rite» assourdissant ? Depuis quelques dizaines d'années, la célébration du Mawlid Ennabaoui, événement religieux commémorant l'anniversaire de la naissance du prophète de l'islam (QSSSL) s'est transformée en une célébration bruyante et érilleuse contrastant avec les principes fondamentaux d'une religion qui prône la réflexion, la contemplation et le bon voisinage. Il est difficile de déterminer avec exactitude depuis quand les Algériens ont recours aux produits pyrotechniques pour manifester leur joie. Or, ce qui est établi, c'est que, depuis près d'une décennie, l'utilisation des différentes formes des articles pyrotechniques a pris des proportions inquiétantes. Devant la forte demande et l'interdiction de l'importation et de la commercialisation de ce genre de marchandises par la législation algérienne, de véritables réseaux de contrebande finissent chaque année par inonder le marché de produits de plus en plus puissants. Un mois avant cette date, les villes et quartiers du pays se transformaient en terrains de «batailles» par les jeux dangereux entrepris par des enfants, adolescents jeunes et moins jeunes. Le paroxysme de cette «violence» est atteint dans la soirée du «Mouloud». Le résultat est ahurissant : chaque année, les urgences des hôpitaux sont submergées de blessés et les services de la Protection civile sollicités à outrance à cause des incendies déclenchés par les «fêtards». «Cette année, les pétards se font rares», constate un buraliste de Sidi M'hamed. A quelques jours de la fête, les explosions de pétards se font rares dans l'Algérois. Prise de conscience ou indisponibilité des produits ? Un tour dans les rues et ruelles de la capitale, en cette agréable journée de samedi nouvellement «fériérisée», donne un semblant de réponse. Impossible de trouver un vendeur «clandestin» de produits pyrotechniques sur les grandes artères. Il faudra chercher au détour des ruelles. Même là, les aventuriers du commerce informel se font rares. «Les agents de police sont nombreux à sillonner la ville. On risque de se faire saisir la marchandise rapidement. Et puis, cette année les articles sont très chers. J'ai investi plus de 100 000 DA et je n'ai pas envie de perdre mon argent. C'est pour cela que je me cache», explique un jeune qui a pris pour point de vente une entrée d'immeuble. «La marchandise se fait rare et les prix vont certainement augmenter dès ce soir. Celle que je vends fait partie du stock de l'année dernière. Il n'y a pas beaucoup de nouveaux arrivages cette année», poursuit-il. Selon notre interlocuteur, c'est la lutte contre la contrebande et l'importation frauduleuse de ces produits prohibés qui est la cause principale de cette «pénurie». «J'ai entendu dire que des containers entiers ont été jetés à la mer de peur de les voir saisis», informe le jeune homme. Pour confirmer ces allégations, direction la place des Martyrs, plus précisément le marché de la rue de Chartes. C'est le principal centre, illégal, de vente de produits pyrotechniques. Le rendez-vous annuel des vendeurs, revendeurs et simples clients du grand Alger. Dans la rue étroite menant vers les étals de marché, la vente de bijoux en or ou de l'«or cassé» se fait au su et au vu de tout le monde, à quelques mètres du commissariat de police. Moins de cinquante mètres plus loin, les premiers étals réservés aux produits pyrotechniques apparaissent. Exposées à ciel ouvert, de nombreuses «tables» sont garnies de cette marchandise prohibée. «Crazzy Bomb», «Smock Bomb», des pétards dont les dimensions font craindre le pire, des paquets de petits pétards, des fusées et des feux d'artifices côtoient les bougies, «Ambar» et «Nouwelette». Il faut toutefoi relativiser. La marchandise étalée cette année au niveau de cet endroit de notoriété nationale n'a aucune commune mesure avec celle présentée l'année dernière et cela que ce soit en termes de quantité ou de choix proposés. Il y a régression. Le marché semble mal se porter. Malheureusement, devant ces commerçants «aguerris» à la vente des produits interdits, il ne faut surtout pas poser trop de questions sur la provenance de la marchandise. La suspicion est maîtresse des lieux. Il faut juste tendre l'oreille. «Cela te fait 150 000 DA», calcule un commerçant. Le jeune client, qui paraît être un revendeur, fait grise mine. Trois petits sachets remplis à moitiés, il déclare à son acolyte que «la récolte va être maigre cette année». Un gamin tire sa mère par la manche en pleurant. Il veut un pétard gros comme une pile de chauffe-bain. Son prix est de 100 DA l'unité. La maman se rétracte et préfère lui acheter un paquet de petits pétards cédé à 80 DA. «C'est la même marchandise que l'année dernière. Qu'est-ce que vous avez de nouveau ?» demande un autre client, apparemment connaisseur en la matière. Le vendeur lui présente trois produits, de «véritables bombes arrivées hier soir». Le client part déçu par le prix fixé : 1 000 DA l'unité. Malgré le nombre important d'étals et les quantités qui restent tout aussi importantes des articles, les clients ne se bousculent pas. A moins de six jours du jour J, le commerce des produits pyrotechniques ne semble pas connaître le «boom» d'antan. Les raisons sont multiples : il y a d'abord les nouvelles mesures prises par les pouvoir publics pour la lutte contre la contrebande au niveau des frontières et des ports. Dernièrement, les services de la gendarmerie ont saisi plus de 34 000 pétards dans 4 wilayas (Alger, Mila, Aïn Defla et Chlef) à travers les barrages routiers. Un autre facteur déterminant aussi a trait à la baisse du pouvoir d'achat des citoyens. «100 DA le kilo de sucre et 80 DA les lentilles, je ne vais pas encore me ruiner pour des pétards», soutient un père de famille. Une autre raison soulevée par les citoyens semble être une certaine prise de conscience sociale sur l'absurdité de fêter l'anniversaire du Prophète (QSSSL) par des nuisances sonores. «L'imam de la mosquée a fait un prêche incendiaire contre cette pratique, vendredi dernier. Je trouve qu'il a raison. Alors pas de pétards cette année», explique Mahieddine, un autre père de famille. Que ce soit pour des raisons économiques, sociales ou cultuelles, le recul du commerce et de l'utilisation de ces produits dangereux est une bonne chose. Le temps est venu pour que la société remette en cause ces «rites» nouvellement introduits et qui présentent plus de mal que de bien pour leurs adeptes.