Photo : Riad Par Abderrahmane Semmar C'est une véritable marée humaine qui a déferlé hier, tôt le matin, sur Alger et le complexe olympique du 5 Juillet. Les voitures klaxonnent, les postes de radio entonnent à tue-tête des chants patriotiques. Des jeunes, des adultes, des hommes et des femmes forment, dès les premières lueurs du soleil, un raz-de-marée aux couleurs vert, blanc et rouge. L'image frappe l'esprit et le tsunami des supporters qui s'est abattu d'un coup sur la capitale et ses environs a créé en quelques heures des embouteillages et des immenses bouchons sur les routes. Des routes sur lesquelles les Algérois ont éprouvé toutes les peines du monde à circuler le plus normalement du monde. Quelque chose de fou, de paranormal et d'extraordinaire à la fois a pris en tenailles une capitale paralysée entièrement dans l'attente d'un match de football, le match des Verts, héros incontestés de l'Algérie contemporaine. «L'Algérie est le seul pays où l'on joue un match amical à guichets fermés», disait à la veille du match Algérie-Serbie, l'imposant défenseur des Fennecs Madjid Bougherra. Le «magic» prophétisait bel et bien une grande fête du football où le public algérien retrouvera enfin son équipe fétiche qui lui a fait vivre les sensations les plus folles durant tout le parcours des éliminatoires pour la Coupe du monde et la toute dernière Coupe d'Afrique des nations en Angola. Le rendez-vous de cet Algérie-Serbie était donc immanquable. Ce match s'apparentait même aux noces des jeunes mariés. Il faut bien reconnaître que l'amour qui lie les Fennecs à leurs supporters dépasse aujourd'hui tout entendement. Cela, les autorités le savaient bien. Et pourtant, ce retour des Verts sur la pelouse mythique du 5 Juillet n'a guère été géré dans des «conditions normales». La vente douteuse des billets n'a fait qu'échauffer les esprits des supporters qui n'acceptent nullement qu'on les écarte d'un revers de la main de cette importante rencontre avec leurs héros. Cette provocation n'allait donc pas passée comme une lettre à la poste. Pour preuve, de la colère les supporters en avaient à revendre hier matin à quelques heures du match. Lorsque ces derniers, venus des quatre coins du pays, ont découvert qu'il ne reste plus de places à leur offrir, un sentiment d'injustice a calciné leurs cœurs. Khartoum, Cabinda, des souvenirs, des réminiscences et des images se sont dès lors mélangés dans leur tête grisée par leur amour pour les Fennecs. Un sacrilège a été commis à leurs yeux. Les priver de ce match, cela représentait pour eux un terrible coup de poignard dans le dos. Dans ce contexte, dès 5 h du matin des milliers de supporters -les meilleurs statisticiens du pays n'aurait pu donner réellement le chiffre exact de cette affluence historique- sont venus secouer les portes du 5 Juillet pour réclamer une place dans cette arène du football. Dans les parkings, pleins à craquer, les interminables allées sont occupées dans tous les sens par des voitures immatriculées dans toutes les régions du pays. Dans les bois qui ceinturent de part et d'autre le complexe olympique, des bandes de supporters ont squatté des buissons 24 heures avant le match pour répondre présent au coup d'envoi de la rencontre. Des boîtes de jus, des paquets de biscuits et des restos de sandwichs s'étendent à perte de vue dans ces bois transformés le temps d'un match en un camping de fortune. Dès le lever du soleil, cette armée de supporters est sortie de sa torpeur pour se lancer sans coup férir à la conquête des gradins du 5 Juillet. Mais c'était sans compter sur la vigilance et la mobilisation des policiers, lesquels étaient chargés de faire le tri et de ne laisser entrer que les détenteurs de billet. Billet, ah ce mot maudit ! Il a suffi juste de le prononcer pour voir une poussée de fièvre coléreuse embraser les visages jeunots de nos supporters. «Je maudis les autorités et les responsables de l'office olympique. Avec mes amis, on a parcouru 600 km pour venir jusqu'ici et voir le match de notre équipe nationale. Il s'agit de notre équipe, elle nous appartient à nous tous. Ne sommes-nous pas des Algériens comme les autres ? Pourquoi a-t-on vendu tous les billets en un seul jour et rien qu'ici à Alger ?» s'écrie Nacer, un jeune Annabi à l'allure fière et à la voix rauque, qui se dit prêt à en découdre avec tout le bataillon de la police anti-émeute mobilisé avec bâton et bouclier mis en évidence. Placés à proximité des entrées du stade, les policiers décelaient bien les signes avant-coureurs de cette révolte qui hantait les supporters. «On nous a trompé. J'ai passé la nuit dans la forêt sous le vent et le froid pour voir ce match. J'ai le droit à un billet comme tout le monde. Je n'ai pas à le payer 5 000 DA car ce n'est pas de ma faute si les billets n'ont pas été vendus à Tiaret. Nous, les gens de l'intérieur du pays, sommes toujours des oubliés», lance pour sa part Djaffer à un policier qui l'empêchait de franchir le cordon de sécurité. Ce jeune ne cache pas son exaspération et crie à qui veut l'entendre son dégoût. «On nous vole notre équipe nationale. Les billets ont été détournés dès le premier jour et maintenant on veut nous chasser sous le prétexte que le stade est déjà rempli. On ne se laissera pas à faire. Qu'ils nous laissent entrer sinon c'est la guerre», menace d'un ton ferme un groupe de jeunes supporters tous couverts du drapeau national. Pendant de longs moments, des insultes fusent, des fulminations s'expriment, des menaces sont brandies, et soudain les affrontements éclatent. Des jets de pierres font irruption, des projectiles commencent à pleuvoir et les policiers donnent l'assaut pour disperser la foule en colère. «Ce sont des voyous. On leur a bien expliqué qu'il n'y a pas d'entrée dans le stade sans billet. A midi, le stade était déjà plein et il restait à peine 2 000 places. Ce n'est pas de notre faute si les billets ont été écoulés le premier jour. On ne sait pas qui les a détournés, mais on ne peut pas laisser entrer tout le monde. Ces jeunes doivent le comprendre», nous explique un gradé de la police non sans nous cacher qu'il a bien peur que ces affrontements, au début isolés, prennent une tournure dramatique vu l'affluence sans cesse croissante des supporters vers le stade. Aux alentours du complexe olympique, des bagarres éclatent un peu partout entre des vendeurs de billets au noir et des supporters hargneux blessés dans leur amour-propre par le prix qu'on leur exige. En effet, les prix oscillaient facilement entre 5 000 et 6 000 DA. En plus, de nombreux billets contrefaits, les fameux billets scannés, circulaient en toute impunité. De nombreux supporters ont pu même tromper la vigilance du service d'ordre avec ces faux billets, reconnaissent les policiers. A qui faire confiance donc. Lorsque la tension monte, les pires débordements sont à craindre. Fort heureusement, un cordon de sécurité a été établi pour permettre aux familles accompagnées de jeunes filles d'entrer dans le stade. En dépit des insultes et des blasphèmes proférés et ici et là, symptômes d'une frustration largement visible sur les visages, ces femmes ont réussi à braver tous les interdits et les complexes pour porter leur amour aux Ziani, Yebda et compagnie jusque dans l'arène du 5 Juillet. C'est certainement cette belle image qu'on gardera à jamais dans les mémoires pour oublier un tant soit peu la gabegie et l'anarchie ayant présidé à l'organisation de cette rencontre. Les Verts ont beaucoup plus besoin de ces témoignages d'amour que des cohortes de frustration suscitées par l'incompétence de certains responsables de notre secteur sportif…