La liberté d'expression est-elle une notion pragmatique ou un mythe ? Le journalisme, ce métier controversé, aimé, glorifié, craint ou haï, et discrédité est le meilleur baromètre capable d'y répondre. Communément appelé le quatrième pouvoir (les médias), il est le contre-pouvoir -tous les pouvoirs- par sa raison d'être : dire les vérités sans concession avec pour seul frein la «charte de l'éthique et de la déontologie» qu'il s'est fixé. En Algérie, la presse annoncée libre ou indépendante, que beaucoup qualifient aujourd'hui, à juste titre, de privée est née d'un souffle démocratique qui a traversé le pays en 1990. Déjà, quelques années à peine après la parution des premiers titres, les éditeurs commencent à crier à l'asservissement de la presse par les pouvoirs publics, à la censure et au musellement. En novembre 1997, neuf quotidiens «privés» ont fait «page blanche» plusieurs jours durant. La raison de la protestation : la monopolisation de la publicité publique par l'Etat. «Depuis cinq ans, la publicité publique et institutionnelle est utilisée par les gouvernants comme moyen de pression sur les titres indépendants afin d'en obtenir la docilité et l'allégeance. Depuis cinq ans, car la décision de rétablir le monopole de l'Etat sur la publicité date de septembre 1992 lorsque le gouvernement de Belaïd Abdeslam a promulgué une circulaire, réactualisée par Ouyahia en juillet 1996», dénonçaient-ils.A la fin des années 1990, les annonceurs privés ont eu le droit de choisir librement les supports de leur publicité. Ce qui devait sceller l'indépendance de la presse (puisque les autres médias –radios et télévisions– sont encore publics) l'a plutôt dirigée vers une autre dépendance. Un titre de presse est une entreprise -dans le sens noble du terme- intellectuelle qui obéit aussi aux règles économiques. Un équilibre doit être établi entre les raisons économiques et ceux de l'idéal pour lequel le titre est né : la ligne éditoriale. Un journal est un «vendeur» d'informations, d'opinions et d'analyses, ce qui le différencie d'une pancarte publicitaire. Il est alimenté essentiellement par ses ventes et ses recettes publicitaires. La publicité est donc devenue un produit commercial très prisé par la presse. En Algérie, la logique du commerce informel, longuement décriée par les journaux, n'a pas épargné le monde de l'édition. En l'absence d'un organe à même d'établir le taux de pénétration des titres dans la société, et face à l'anarchie qui règne dans le monde de la distribution, le marché de la publicité a imposé de nouvelles règles. Celles basées sur le copinage et l'asservissement des éditions. Révoltée d'être à la solde des pouvoirs publics, la presse s'est inclinée devant les pourvoyeurs de pubs. Il faut dire que c'est un marché juteux qui avoisine les 100 millions de dollars. On se tait sur des scandales, on ferme les yeux sur des irrégularités, on fait du lobbying intéressé… l'essentiel c'est de ménager son «bailleur de pub» sous peine d'être étranglé économiquement. Mais tout comme pour l'homme digne, un journal doit-il vivre à tout prix ? La liberté a un prix, à chacun de déterminer le sacrifice qu'il est prêt à concéder. A. S.