Les médias sont à l'avant-garde du combat démocratique, un moyen majeur d'accès à l'information et un moteur du dialogue. Les organisations internationales comme l'Unesco et nombre d'ONG spécialisées soutiennent à juste titre la liberté d'expression et la liberté de la presse en tant que droits fondamentaux de l'être humain. De même qu'elles encouragent l'indépendance et le pluralisme des médias comme conditions préalables et comme facteurs majeurs de démocratisation en faisant prendre conscience aux gouvernements, aux sociétés et aux décideurs de l'importance de ces principes. Les actions-phares dans ce domaine ont été la proclamation en 1993, par l'Assemblée générale des Nations unies, d'une Journée mondiale pour la liberté de la presse célébrée le 3 mai; la création d'un groupe consultatif sur la liberté de la presse et dont les membres sont des professionnels des médias du monde entier et enfin la création en 1997 du Prix mondial Unesco sur la liberté de la presse. Malgré leurs erreurs et parfois leur manque de professionnalisme, on doit soutenir les médias indépendants et leurs journalistes, afin de leur permettre de jouer un rôle constructif et d'avant-garde dans la prévention et la résolution des conflits sociaux, politiques et culturels et dans la généralisation d'une pédagogie du progrès et de la culture du vivre-ensemble. Comme le stipule l'article 19 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de l'ONU, la liberté d'expression est un droit humain fondamental. Il convient de rappeler ce principe, dans un contexte marqué par tant de conflits et formes multiples d'oppressions, surtout en cette année qui marque le 60e anniversaire de la Déclaration. À l'occasion de la célébration de la Journée mondiale de la liberté de la presse 2008, l'Unesco examine comment la liberté des médias et l'accès à l'information s'inscrivent dans l'objectif de développement plus large de l'autonomisation des populations. Communication et dialogue L'autonomisation est un processus sociopolitique multidimensionnel qui permet aux individus de prendre en main leur destin. Cet objectif ne peut être atteint que par l'accès à une information exacte, fiable et impartiale, reflet du pluralisme d'opinions, et en offrant aux populations les moyens de communiquer verticalement et horizontalement, et donc de participer activement à la vie de la communauté. Pour que les citoyens puissent prendre part au débat public et placer les gouvernements et les autres acteurs devant leurs responsabilités -éléments clés de la démocratie-, ils doivent avoir accès à des médias libres, pluralistes, indépendants et professionnels. La communication et le dialogue entre les différents membres de la société ne s'établissent pas forcément de manière naturelle, comme on pourrait le croire. Les médias sont à l'avant-garde du combat démocratique, un moyen majeur d'accès à l'information et un moteur du dialogue. Dans les sociétés ankylosées comme celles du monde arabe, il y a du chemin à parcourir. Il faut apprendre à s'informer, à informer, à communiquer et à faire confiance aux journalistes, qui sont tous les jours en train d'apprendre ce passionnant métier, un pouvoir ambivalent pas facile à manier. Reconnaître la liberté d'expression a souvent constitué l'une des premières étapes vers la démocratie. La première puissance, les Etats-Unis, sur le plan théorique, ne lui en délimitent aucune; le premier amendement de la Constitution américaine est catégorique: «Le Congrès ne fera aucune loi restreignant la liberté d'expression ou la liberté de la presse.». En 2007-2008 les observateurs enregistrent pourtant un net recul de ce droit aux USA. La politique néoconservatrice s'oppose aux vrais débats. Traditionnellement, on interdisait sciemment dans le monde toute présentation favorable du banditisme, de la lâcheté ou du vol. Sous l'effet des progrès technologiques et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, la liberté d'expression est perçue par certains en Occident comme un acquis non négociable. Mais compte tenu de la mondialisation de l'insécurité, des oppositions d'idées et de la crise du désordre mondial, la période récente a renouvelé le débat sur l'exercice de la liberté d'expression, débat qui n'a pas encore trouvé ses marques. Outre le développement des nouvelles technologies, des facteurs politiques y contribuent. La résurgence des idées xénophobes en Occident, qui débordent les milieux d'extrême droite, et celle des extrémistes en Orient, pousse à réfléchir sur les ripostes. L'islamophobie, un phénomène inquiétant, tend à se développer dans les médias, depuis la fin de la guerre froide en 1989 et le 11 septembre 2001. La nécessité de lutter contre l'islamophobie et les racismes doit-elle passer par l'adoption d'un arsenal juridique limitant la parole, se demandent des chercheurs et politiques? La nécessité du respect du droit à la différence bouscule l'édifice de la liberté d'expression. Incitation directe à la haine raciale ou à la violence, n'exclurait ni le blasphème, ni le négationnisme, ni la glorification du terrorisme. Le juste milieu La liberté d'expression ne semble visible nulle part et en même temps un laxisme à double standard se renforce. Le dénigrement de l'autre et l'apologie de soi dominent trop d'espaces médiatiques. Malgré des nuances et acquis, les médias dans le monde semblent obéir à des considérations dictées par des pouvoirs aux visées étroites et des cartels financiers. La pratique du deux poids, deux mesures et les instrumentalisations battent leur plein. Tant que les médias ne seront pas indépendants des multiples pouvoirs, tant que ne sera pas garantie juridiquement et matériellement à chacun la possibilité de s'exprimer, la liberté d'expression sera plus un mythe qu'une réalité. Cependant, il faut faire confiance à la conscience des journalistes qui résistent aux pressions sous toutes ses formes et aux chefs d'entreprise qui sont attachés à l'éthique et la déontologie. Reste que la liberté d'expression n'exclut pas, parce que libre, la bêtise, la propagande et le fonds de commerce étroit qui portent atteinte à la dignité des gens. S'exprimer librement ne signifie pas être juste et pertinent. C'est d'ailleurs à cause de ce manque de justesse et de pertinence que les lecteurs ou téléspectateurs doutent de tout et ne sont pas dupes. Que des médias européens procèdent aux matraquages sur l'affaire du Tibet et informent à peine sur les causes des souffrances du peuple palestinien est significatif. Que certains d'entre eux republient par exemple les vulgaires caricatures du Prophète aux accents nettement xénophobes ne relève pas du hasard et de la liberté d'expression; pendant que les modestes citoyens musulmans de ces pays d'accueil ou de leur pays n'ont passablement pas droit à la parole. Des médias au Nord se font l'écho de discours racistes et haineux, avec les confusions et amalgames que l'on sait entre Islam et actes criminels et ce, dans un contexte où cela ne peut qu'attiser les préjugés et les violences. Des médias au Sud distillent des discours de l'intolérance, de la fermeture et du ressentiment. Qui peut, au Nord comme au Sud, échapper au matraquage médiatique? Dans ces cas, la question n'est plus celle de la liberté d'expression. Certess, des affaires n'auraient pas pris d'ampleur, si, d'une part, des agressions ou provocations occidentales caractérisées n'avaient pas lieu ou si, d'autre part, des réactions violentes et irrationnelles de la part d'inauthentiques musulmans n'étaient pas tombées dans le piège. Des médias occidentaux ou orientaux se focalisent à outrance sur des thèmes qui cherchent à faire oublier des errements internes, détournant l'opinion publique locale et mondiale des problèmes de ´´démocratie´´, des inégalités et des dérives des systèmes dominants, qui occupent ou répriment. L'universalité de la liberté d'expression et des droits de l'homme sont des acquis précieux, mais trop souvent les dés sont pipés et les dialogues sont ceux des sourds dès qu'il s'agit des musulmans. Sur le plan interne, des sociétés arabes, vu les archaïsmes des régimes, les progrès sont fragiles et la situation est hétérogène. La prolifération des médias et réseaux TV satellitaires arabes, malgré des avancées, ne répond pas encore au besoin de bâtir une société de juste milieu. Les extrêmes dominent: occidentalisation aveugle, ou repli morbide dans la tradition fermée. Il n'y a pas de liberté sans loi, ni de progrès sans authenticité. Telle est l'équation à résoudre en permanence, pour éviter les piéges, sortir des mythes et assumer nos responsabilités. (*) Professeur des Universités