Hospitalisé depuis le 23 novembre 2009 pour des problèmes cardiaques dans une clinique de Djeddah, en Arabie saoudite, le président du Nigeria Umaru Yar'Adua a finalement succombé à sa maladie le 5 mai dernier. Pendant toute la période de son séjour médical à l'étranger, la polémique autour de son remplacement n'a cessé d'enfler. Considérant qu'il était incapable de continuer à gérer les affaires de son pays, de nombreuses personnalités politiques ont appelé à sa démission mais le gouvernement a rejeté tous les appels, indiquant que Yar'Adua était hospitalisé pour une péricardite aiguë et qu'il ne tarderait pas à reprendre ses fonctions. Depuis, aucun signe de vie jusqu'au 12 janvier où le président, malade, s'est adressé aux Nigérians sur les ondes de la radio BBC, les assurant qu'il allait «mieux». Le lendemain, le vice-président Goodluck Jonathan, 52 ans, a été désigné pour exercer temporairement les pouvoirs de Président sur ordre de la Haute Cour fédérale qui lui a toutefois signifié qu'il ne devenait que «président par intérim». L'absence prolongée du Président a fini par excéder une population, chauffée à blanc, la poussant à sortir manifester sa colère dans la rue. Un délai de 14 jours a été ainsi donné par la Haute Cour fédérale au gouvernement pour décider si le Président devait continuer à gouverner ou non. Mais il fallut attendre un mois pour voir Goodluck Jonathan désigné au poste de Président par intérim après que le Forum des gouverneurs des 36 Etats de la fédération eut adressé une requête à l'Assemblée nationale pour lui demander de le «reconnaître formellement» comme tel. Entre novembre 2009 et février 2010, le Nigeria a connu, à plusieurs reprises, de violents affrontements interethniques et interconfessionnels, notamment dans la grande ville de Jos où musulmans et chrétiens s'entretuent régulièrement à coups de hache et de kalachnikov. En effet, alors que des voix insistantes continuaient à dénoncer la vacance du pouvoir, plus de 500 villageois chrétiens ont été tués dans des attaques près de la ville de Jos, dans le centre du pays. Les corps sans vie d'au moins 150 personnes avaient été retrouvés dans des puits après plusieurs jours de recherche et de tensions. Sans l'intervention des forces de sécurité, la liste des victimes aurait été plus longue. Il ne faut pas oublier les 18 000 personnes que ces violences avaient contraintes à fuir dans les villes voisines par peur de représailles. Un mois auparavant, en janvier exactement, des affrontements du même genre avaient fait plus de 550 morts. La nomination d'un musulman à la tête d'un programme gouvernemental contre la pauvreté a été également à l'origine d'un cycle de violences entre musulmans et chrétiens. Le nombre de morts a dépassé la centaine. Ces douloureux événements ressemblent à ceux de février 2000 au cours desquels entre 2 000 et 3 000 personnes avaient été tuées dans l'Etat de Kaduna (nord) suite à des appels des musulmans en faveur de l'introduction de la loi islamique. Le défunt président avait, à maintes fois, appelé les deux communautés au dialogue pour l'instauration d'une paix durable à travers tout le pays mais la fracture semble plus importante que ce que pensait Umaru Yar'Adua qui s'était également fixé comme objectif de ramener les rebelles du Sud, qui s'attaquaient à l'industrie pétrolière, à déposer les armes. Et c'était justement au moment où l'ancien président avait commencé à gagner la confiance de certains membres influents du Mouvement pour l'émancipation du Delta du Niger (Mend) que sa maladie l'a contraint à quitter son poste avant de succomber au mal qui le rongeait depuis des mois. Les menaces du Mend de reprendre la lutte armée, si les promesses du Président malade n'étaient pas concrétisées, ont lourdement pesé sur le maintien de la précaire stabilité politique dans la fédération, ouvrant ainsi la voie à toutes les inquiétudes aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays. Le président intérimaire, Goodluck Jonathan, chrétien du Sud pétrolifère, s'était donc engagé le 1er mai à assurer l'approvisionnement régulier du pays en électricité, la sécurité dans le delta du Niger et des élections libres et honnêtes. La présidentielle est prévue entre avril et mai 2011 mais la date n'a encore été fixée pour l'instant. Mais avant la tenue de cet important rendez-vous électoral, M. Jonathan devra faire face à la pression croissante du Mend qui menace de reprendre les armes au cas où le nouveau président ne répondrait pas à ses exigences. Un ultimatum de «plusieurs semaines» lui a été fixé par le Mend qui ne donne toutefois pas de détails sur le nombre de semaines envisagées. Sur le plan interne, le nouveau dirigeant de la fédération est d'ores et déjà confronté à des tensions de plus en plus perceptibles au sein de son parti. Chrétien du Sud, il va achever d'ici un an le mandat de son prédécesseur musulman du Nord, et son parti, le Parti démocratique du peuple (PDP, le plus important du pays) au pouvoir depuis 1999, a pour règle écrite qu'un président chrétien succède à un présidentmusulman tous les huit ans. A première vue, M. Jonathan ne pourrait pas présenter sa candidature une fois son actuel et court mandat achevé. Pour le moment, il bénéficie de l'appui des gouverneurs des 36 Etats de la fédération, presque tous membres du PDP. «Nous l'avons assuré de notre soutien et engagement à œuvrer avec lui […]», a déclaré Bukola Saraki, gouverneur de Kwara et porte-parole d'une délégation de gouverneurs. D'ici la fin de son actuel mandat, M. Jonathan pourrait annoncer sa participation au prochain scrutin. Mais il devrait s'assurer le soutien d'une majorité des membres de son parti et gagner aussi la bataille des coulisses en ralliant les voix des anciens présidents du pays à sa cause. Certains observateurs désignent Goodluck Jonathan comme le candidat du «consensus», capable de sauver «la pieuvre (surnom donné au PDP)» des dissensions qui mine son parti. Connu pour être un homme politique «sans histoires» et n'ayant été accusé dans aucune affaire liée à la corruption dans le Sud où cette pratique est courante, le nouveau président de la Fédération du Nigeria est perçu comme celui qui fera barrage aux ambitions personnelles de certains militants du PDP qui se voient déjà candidats potentiels à la prochaine présidentielle. En attendant la tenue de cette élection, le flou règne dans le pays autour de la gestion de la rente pétrolière et de l'application de la feuille de route dressée par le défunt président concernant la politique énergétique du Nigeria et la redistribution des richesses qui ne profitent qu'à une poignée de dirigeants, en poste ou en retraite, notamment les anciens membres de la junte ayant dirigé la fédération depuis le début des années 1960 jusqu'à 1999, avant de céder le pouvoir aux civils. L. M.