Parler aux jeunes de politique n'est pas si rébarbatif qu'on serait tenté de le penser. Cela ne fait certes pas partie de leurs sujets de prédilection mais, une fois le débat lancé, il est facile de constater qu'ils en ont à dire sur ceux qui les gouvernent. Derrière leur air de désintérêt total se cachent en réalité des avis bien ancrés qui en disent long sur le rapport très ambigu qu'ont les jeunes avec la politique. Des rapports où se mêlent rancœur, irritation, jalousie, abattement et désœuvrement pour la plupart. Certains en parlent avec lassitude et colère, d'autres avec humour et dérision, d'autres encore avec froideur et détachement. Tout dépend du jeune et de son vécu. Mais il existe un dénominateur commun à tous leurs avis : le détachement qui ressort de la majorité des témoignages recueillis. Il a été difficile de rencontrer un jeune qui y croit sans un détachement ou une lassitude clairement exprimés. Imene, étudiante, 23 ans, opte pour l'indifférence. Elle s'est construit sa petite bulle dans l'Algérois où elle vit un quotidien assez «sympa», dit-elle. Positive même si, désabusée, elle aime se laisser croire que la politique n'a pas une réelle incidence sur sa petite vie : «La politique algérienne, je ne l'ai jamais comprise. Je crois que les responsables défendent tout sauf l'intérêt du peuple», explique-t-elle. «Nous n'avons pas droit à la parole, tout est décidé, tout est carré. Nous subissons, impuissants, sans rien faire et sans rien dire ; alors autant faire comme si elle n'existait pas pourvu que nous ne soyons pas touchés personnellement : nous fermons les yeux et nous les laissons faire ce qu'ils veulent», ajoute-t-elle sur un ton tout à fait détachéNassim, également étudiant, 25 ans, est tout à fait conscient que les choix politiques ont une incidence directe sur sa vie. Il projette d'ailleurs de partir mais avec encore quelques réserves. Il met bien le doigt sur le fossé existant entre les gouvernants et leurs administrés. Selon lui, «les jeunes sont déconnectés de la politique menée par les dirigeants car ils ne sont tout simplement pas associés et leur avis n'est jamais sollicité. De plus, ils ne sont pas informés des tenants et des aboutissants de cette politique. En ce qui nous concerne directement, ce que fait l'Etat pour résorber le chômage est très insuffisant ; nous nous sentons délaissés car même avec des bac + 5, nous nous retrouvons à vendre des cacahuètes, et cela est désolant». Lamine, 25 ans, sera plus catégorique sur l'état de la politique algérienne. Las et dépité, il livrera son témoignage presque avec colère. Car c'est ce que lui inspire la manière dont le pays est géré, encore faut-il croire qu'il l'est. «C'est un débat qui me mets dans tous mes états. Ils se moquent bien de nous !!!» s'exclame-t-il. Il citera en vrac les scandales financiers et les fausses promesses non tenues pour exprimer l'idée d'un simulacre d'action politique et non l'idée d'une politique déficiente. Il précise, profondément désabusé : «C'est un domaine qui me dépasse complètement et qui ne m'intéresse nullement. Je pense franchement qu'il n'y a pas d'espoir pour nous. A quoi bon se bercer avec des discours révolutionnaires. Ça ne sert strictement à rien. La relève est bien en place pour perpétuer le système. Moi, tout ce que je sais, c'est que j'en ai marre d'être pris pour un imbécile.» Lydia, cadre, 24 ans, a un avis beaucoup moins tranchant mais qui met en relief quelques maux déterminants de la vie sociale algérienne, les passe-droits et l'injustice. Mais son avis restera mesuré : «La politique algérienne, je ne sais pas trop qu'en dire si ce n'est que j'aimerais bien qu'elle me permette de garer ma voiture en face du Grial [café algérois situé à Hydra interdit au public alors que les enfants de personnalités politiques s'y garent sans problème]. A part ce genre de petites anecdotes, je ne sais pas trop ce qui se passe dans la vie politique algérienne parce que je ne m'y intéresse pas. Cela dit, je pense qu'on est certainement plus avancés que des pays voisins où aucune liberté n'est permise.»Riad, cadre de 31 ans, portera un regard tout aussi critique et lucide mais légèrement moins désabusé. Pour lui, la vie politique algérienne est un jeu qui ne concerne plus les Algériens mais une minorité qui veut gouverner et garder un pouvoir en main. «Les jeunes ne s'intéressent pas à la politique pour la simple raison qu'ils en sont exclus ; c'est très simple, tous les hommes politiques sont d'une époque que plus de 45% de la population algérienne ne connaît pas. Au fil des années, rien n'a changé. C'est toujours pareil : un passé méconnu, des quêtes indéfinies, un combat qui ne concerne plus les Algériens et un futur incertain», raconte-t-il. «Ce qui est gravissime, c'est de voir des pays, guère mieux lotis que nous, vivre et évoluer ; même si c'est une illusion, plus de 1,5 million d'Algériens s'y ‘‘réfugient'' chaque année le temps d'un été.»Des avis divergents qui se rejoignent et se chevauchent. Si désabusés et détachés que puissent paraître ces quelques témoignages, il ne faudrait pas pour autant croire que les jeunes Algériens sont vidés d'espoirs et d'entrain. Leurs espoirs, ils les placent ailleurs, ou, mieux, ils se démènent et s'échinent pour les vivre, les réaliser ailleurs… F. B.