Synthèse de Hassan Gherab Après dix ans d'infructueuses négociations, quatre pays africains riverains du Nil ont fini par conclure un accord de partage des eaux du fleuve nourricier, sans lequel l'Égypte ne serait qu'un vaste désert. Réunis à Entebbe, en Ouganda, l'Éthiopie, le Rwanda, la Tanzanie et l'Ouganda, qui demandaient en vain à l'Égypte de participer aux négociations, ont signé vendredi dernier un texte créant une commission chargée de gérer les projets d'irrigation, les canaux ou les barrages, sur la totalité des 6 700 km du Nil. Le Kenya devrait prochainement les rejoindre. Cette commission, qui aura droit de veto sur toute infrastructure concernant le Nil, devrait être basée à Addis-Abeba, la capitale de l'Éthiopie.Evidemment, Le Caire, toujours opposé à une révision du partage des eaux du Nil, qui lui est favorable, a aussitôt rejeté l'accord, avec des menaces à peine voilées. «Les droits historiques de notre pays restent une ligne rouge», a déclaré le ministre des Affaires étrangères, Ahmed Aboul Gheit. Le ministre de l'Irrigation, Mohamed Nasr Allam, abonde dans le même sens en assurant que l'Égypte «se réserve le droit de prendre toutes les mesures légales et diplomatiques nécessaires pour défendre ses droits».Ces intimidations traduisent en fait les craintes du Caire de voir cette source vitale pour 80 millions d'Égyptiens se réduire avec une nouvelle répartition des volumes d'eaux réservés à chaque pays. Les pays riverains du Sud, Éthiopie et Kenya en tête, réclament depuis longtemps un nouveau partage de ces quotas. Le traité actuel, élaboré en 1929 par la puissance coloniale britannique, puis amendé trente ans plus tard, attribue des quotas très favorables à l'Égypte (55 milliards de m3) et au Soudan, où se rejoignent le Nil Blanc et le Nil Bleu, (18,5 milliards). Il accorde en outre au Caire un droit de veto sur tous les travaux susceptibles d'affecter le débit du fleuve. A eux deux, ces deux pays trustent près de 90% du volume annuel du fleuve. Le Soudan a d'ailleurs rejeté, lui aussi, l'accord d'Entebbe. Mais pour Le Caire, les pays d'Afrique centrale bénéficient de pluies abondantes, dont une grande partie se perd dans les marécages inexploités. Avant de demander à l'Égypte de faire des efforts, ajoute-t-on, il faudrait commencer par rationaliser l'utilisation de l'eau. «L'eau du Nil appartient à tous les pays, pas à un petit nombre», rétorque le ministre des Ressources hydrologiques de l'Ethiopie qui abrite la source du Nil Bleu (85% du débit) dans le lac Tana, alors que celle du Nil Blanc se trouve dans le lac Victoria en Ouganda. Et ces deux pays entendent bien exploiter cette richesse pour leur développement.Les dirigeants égyptiens voudraient bien croire que les pays signataires de l'accord d'Entebbe seront stoppés dans leur entreprise par l'absence de capitaux d'investissement. Mais, c'est peu probable quand on voit le forcing de la Chine, qui finance déjà de nombreux chantiers, et d'Israël, dont le ministre des Affaires étrangères, Avigdor Lieberman, a fait, en 2009, une tournée -la première du genre depuis 25 ans- dans cette région au cours de laquelle il a visité l'Éthiopie, le Kenya et l'Ouganda. Cette tournée n'était qu'un autre pion avancé sur cet échiquier où s'affrontent l'Égypte et Israël. Quand Le Caire finançait le creusement de puits au Kenya ou le nettoyage des lacs ougandais, Tel-Aviv participait à la construction de barrages en Éthiopie et vient de s'engager à financer trois autres ouvrages en Ouganda. Pour Israël, l'accès aux eaux du Nil est un enjeu stratégique. Le canal Al Salam (la paix), creusé par l'Égypte pour irriguer le Nord-Sinaï, amène déjà l'eau à sa porte et elle entend bien l'amener au-delà. A cet imbroglio politico-diplomatique s'ajoute une appréhension pour Le Caire : la possible autonomie du Sud-Soudan qui devra être entérinée par un référendum en janvier prochain. Le Nil Blanc passe par cette partie du Soudan et l'Éthiopie comme l'Ouganda sont les alliés historiques de l'ancienne guérilla qui pourrait être à la tête du futur État.Mais à considérer que l'Egypte ne parvient pas à bloquer l'accord d'Entebbe, irait-elle jusqu'à déclencher une guerre de l'eau ? Peu probable. L'armée égyptienne ne peut se lancer dans une guerre contre des pays lointains qui plus est disposent de guérillas capables de tenir le siège de longues années durant. La négociation est la seule issue dont dispose Le Caire, quitte à y laisser des plumes.