L'Ethiopie, le Burundi, le Kenya, l'Ouganda, la Tanzanie, la république démocratique du Congo et le Rwanda lanceront demain à Entebbe, en Ouganda, la signature d'un accord-cadre sur l'utilisation équitable des eaux du Nil «basé sur les pratiques en vigueur du droit international», selon le porte-parole du gouvernement éthiopien, Shimelis Kemal. L'Egypte refuse tout nouveau plan de partage des eaux au nom de ses «droits historiques» sur le fleuve. «Les négociations sont terminées, les termes du projet d'accord ne seront pas changés», prévient Mme Byakatonda, la ministre ougandaise. «Les pays qui estiment ne pas pouvoir le signer maintenant, auront un délai d'un an», explique-t-elle en référence à l'Egypte et au Soudan, les deux autres pays riverains qui refusent d'entériner cet accord qui tord le cou au statu quo actuel. L'Egypte-dont 95 % des ressources en eau proviennent du Nil-et le Soudan considèrent déjà comme nul et non avenu ce nouvel accord. Ils n'excluent pas de porter l'affaire devant la Cour internationale de La Haye si les «signataires» d'Entebbe ne changent pas d'avis d'ici le 6 juin prochain, date de la réunion prévue à Addis-Abeba pour d'ultimes négociations. «Nul ne pourra porter atteinte aux droits historiques de l'Egypte sur les eaux du Nil. C'est une question de vie ou de mort pour notre peuple. Ce fleuve est notre seule ressource hydraulique et couvre 95% de nos besoins», s'exclame Moufid Chéhab, le ministre des affaires juridiques et parlementaires, devant les députés de l'Assemblée du peuple pour une fois unis reprochant aux autres pays riverains du Nil de ne pas exploiter judicieusement les ressources hydrauliques qu'ils possèdent. Sa crainte ? Elle est la même que celle de Mohamed Allam, le ministre de l'irrigation, qui a lancé : «l'Egypte prendra toutes les mesures nécessaires pour défendre ses droits». Que les autres pays s'entendent sur une modification du statu quo, synonyme de pénuries et de la fin du droit de veto du Caire sur tous les travaux susceptibles d'affecter le débit du fleuve. Deux accords consacrent ce droit. Le premier a été signé en 1929 avec la Grande-Bretagne, alors puissance coloniale des pays situés sur le Nil. Le second a été signé en 1959 avec le Soudan. Ce dernier octroie 55,7 milliards de mètres cubes par an pour l'Egypte qui confirme qu'elle est «un don du Nil», dixit l'historien grec Hérodote, et 18,5 milliards m3 pour le Soudan, soit à eux deux, l'équivalent de 87% du débit du Nil. Décodée, cette «crainte» signifie que le «partage des eaux» est une «question de sécurité nationale». …ET REDOUTENT JUBA L'Ethiopie, la Tanzanie, l'Ouganda, le Kenya et Congo contestent depuis une décennie cette répartition «historique». Depuis l'échec de la réunion du 13 avril dernier à Charm el-Cheïkh, ces pays membres de l'initiative du bassin du Nil, accusent l'Egypte de «traîner des pieds». Les analystes se demandent si derrière les échanges aigres-doux des pays riverains du Nil il n'y aurait pas des enjeux stratégiques, des rivalités géopolitiques et une guerre d'influence où Israël ne serait pas absent. Faits indéniables : l'Etat hébreu a passé des accords avec l'Ethiopie et l'Ouganda, pour construire trois barrages et des installations hydroélectriques sur le Nil Bleu, trois ouvrages d'eau sur le Nil. Il a signé en 2000 un traité d'irrigation avec l'Ouganda et présenté de même des études techniques dans l'irrigation et l'agriculture aux autres pays riverains du Nil. Comme pour planter le décor d'une pénurie d'eau programmée, une sécession soutenue par les Israéliens et les Américains se profile le 9 janvier au Sud-Soudan. Ce nouveau pays contrôlera les eaux du «Bahr Al-Ghazal», un des grands affluents du Nil. Il pourrait changer la direction de son écoulement et se montrer solidaire de l'Ethiopie et du Kenya.Est-ce un hasard si Le Caire a déjà ouvert un dialogue avec Juba ? Ahmed Abou Gheit, le ministre égyptien des Affaires étrangères, a rencontré cette semaine Salva Kiir dans la capitale sudiste. Selon Barah Mikaïl, un spécialiste du Moyen-Orient et de la géopolitique de l'eau, les responsables égyptiens seraient «mieux avisés d'obtenir aujourd'hui par la diplomatie ce qu'ils pourraient ne pas obtenir demain par la force».