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L'élite de Bangkok, la monarchie et les militaires dans la ligne de mire des couches populaires L'injustice sociale à l'origine d'une instabilité politique chronique en Thaïlande
En un week end, les affrontements à Bangkok entre les manifestants antigouvernementaux et les forces de sécurité thaïlandaises ont fait 36 morts et plus de 300 blessés, selon des sources hospitalières, portant ainsi le bilan à 61 morts et à plus de 1 600 blessés. Hier, l'annonce du décès du leader des «chemises rouges», le général Seh Daeng, de son vrai nom Khattiya Sawasdipol, a exacerbé les tensions et suscité davantage de colère chez les milliers de manifestants qui occupent la capitale depuis la mi-mars. Le général avait été grièvement atteint par une balle à la tête, jeudi dernier, alors qu'il donnait une interview à des journalistes étrangers. Les autorités le considèrent comme un traître pour avoir quitté les rangs de l'armée et rejoint les partisans de l'ex-Premier ministre en exil Thaksin Shinawatra. Celui-ci avait été élu à la tête du gouvernement, en 2000, après une campagne électorale axée sur un exceptionnel programme de développement économique en direction des couches défavorisées, notamment celles du Nord dont sont originaires la majorité des manifestants «rouges». L'ex-Premier ministre, grand magnat des télécommunications et riche entrepreneur dans diverses activités économiques dans son pays, a été renversé par des militaires qui l'accusaient de corruption et de favoritisme envers ses propres entreprises. Il est aussi soupçonné de fomenter un putsch contre la monarchie, ce qui a accéléré le processus de son éviction, par la force, du gouvernement. Malgré donc le népotisme, la corruption, les atteintes aux droits de l'Homme dont il est accusé, M. Thaksin a réussi à gagner le cœur des couches populaires thaïlandaises qui ont occupé la rue dès sa chute en 2006. Pour éviter tout dérapage, les putschistes ont décrété l'état d'urgence pendant plusieurs semaines. Les généraux royalistes ont géré les affaires du pays pendant plus d'un an, un temps qui était suffisant pour préparer de nouvelles élections. Le scrutin organisé en 2007 a offert une large victoire au Parti du peuple (PP), proche de Thaksin. Mais cette victoire a été de courte durée. En 2008, le mouvement royaliste et anti-Thaksin qui s'est fait appelé «chemises jaunes», a pris le relais des «chemises rouges» en organisant de nouvelles manifestations, à l'image de celles ayant précédé le putsch. Au mois de septembre, l'état d'urgence a été déclaré pour 12 jours après des heurts entre groupes anti et pro-gouvernement. Trois personnes sont tuées en octobre et près de 500 autres blessées lors d'affrontements entre forces de l'ordre et manifestants. Au même moment, un tribunal condamne le Premier ministre déchu à deux ans de prison pour «conflit d'intérêts». Mais ce dernier avait déjà fui le pays et a pu par la suite obtenir l'exil politique au Monténégro. Parallèlement, le mouvement des «chemises jaunes» poursuivait ses manifestations, poussant leur action jusqu'à bloquer les aéroports de Bangkok. Les généraux royalistes étaient encore contraints d'imposer l'état d'urgence pendant près de deux semaines avant que la Cour constitutionnelle décide de dissoudre le PP du Premier ministre Somchai Wongsawat, beau-frère de Thaksin. Cette décision a profité au président du Parti démocrate, Abhisit Vejjajiva, soutenu par les «jaunes», lui permettant de devenir Premier ministre à la tête d'une coalition de six partis. Mais les partisans de Thaksin, les «chemises rouges», n'ont pas désarmé et ont, eux aussi, décidé de revenir à la charge, multipliant en 2009 les manifestations contre Abhisit Vejjajiva qu'ils ont invité à démissionner et à restituer le pouvoir à son successeur qu'ils considèrent comme légitime pour gouverner. Des actions de grande envergure ont été menées par les «rouges», entre autres, l'envahissement du bâtiment accueillant un sommet asiatique dans la station balnéaire de Pattaya, durant la même année de 2009. Ce sommet a été ainsi annulé et les participants, des chefs d'Etat, ont quitté la rencontre dans la précipitation. L'état d'urgence est de nouveau imposé durant douze jours. Deux personnes ont été tuées au cours des affrontements ayant suivi cette manifestation retransmise par de nombreuses chaînes de télévisions d'information continue. Vint ensuite, au début de l'année en cours, le verdict de la Cour suprême qui a décidé de confisquer la moitié de la fortune de l'ancien Premier ministre Thaksin (environ 1,4 milliard de dollars). L'accusé a été jugé coupable d'«abus de pouvoir». En réponse à cette décision, le 14 mars, des dizaines de milliers de «rouges» ont afflué vers la capitale Bangkok pour réclamer le départ d'Abhisit Vejjajiva et la dissolution du Parlement ainsi que la tenue de nouvelles législatives avant la fin de l'année 2010. Pour contraindre le gouvernement à négocier, une centaine de milliers de «chemises rouges» ont occupé les principaux quartiers touristiques de la capitale avec la ferme volonté d'y demeurer jusqu'à l'aboutissement de leur combat. La situation a fini par dégénérer après plusieurs jours de tentatives avortées d'ouvrir des discussions pour mettre un terme à cette crise politique, la plus grave depuis celle de 1992. Aujourd'hui malade, ce roi demeure silencieux et les chemises rouges espèrent voir les Nations unies intervenir pour éviter que cette crise politique n'ouvre la voie à la «guerre civile». Poussées jusque dans leurs derniers retranchements, privées de leur leader le général Seh Daeng, les chemises rouges continuent à tenir tête à un gouvernement pressé de toute part de reprendre langue avec eux. Les autorités thaïlandaises, qui ont l'armée des soldats royalistes de leur côté, conditionnement toute reprise des pourparlers avec les manifestants antigouvernementaux à l'arrêt des rassemblements à Bangkok qui paralysent depuis deux mois une partie de l'activité économique du pays. «Le gouvernement thaïlandais ne reprendra les négociations de paix avec les chemises rouges qu'après la fin de leurs rassemblements et émeutes, dans la zone de Rajprasong, au centre-ville de Bangkok», a indiqué Panithan Wattanayakorn, secrétaire général adjoint du Premier ministre, cité par Nation on line, un journal électronique local. Le gouvernement a réaffirmé également hier que les forces de sécurité n'ouvriront pas le feu sur la population et qu'elles ne visent que les hommes armés parmi les «chemises rouges». Les forces de sécurité ont par ailleurs nié toute implication dans l'assassinat du général Seh Daeng. Selon l'APS, le Centre pour la résolution des situations d'urgence (CRES), en charge de la sécurité sous le décret d'urgence, a publié un ultimatum exigeant le départ hier avant 15h00, heure locale, de tous les manifestants de Rajprasong. Si les «chemises rouges» refusent de décamper, la Thaïlande risque de sombrer dans l'abîme, a averti hier soir Thaksin Shinawatra qui a appelé les deux parties en conflit à la raison. Toutefois, sans la lutte contre la pauvreté dans les zones rurales et la relance de l'économie en dehors de Bangkok, des crises politiques comme celle de 1992 et de 2010 se reproduiraient inévitablement. Car, au fond, c'est toute la politique sociale et économique de la Thaïlande qui est remise en cause par une majorité de Thaïlandais issus des couches démunies. L. M.