Bangkok, la capitale thaïlandaise du tourisme, a retrouvé son calme après deux mois de violences qui ont fait plus de 80 morts et environ 1 900 blessés. La vie a repris son cours normal après le départ forcé des «chemises rouges» qui avaient établi leur quartier général dans l'un des quartiers les plus commerçants de Bangkok. Le week-end dernier, les rues ont fait peau neuve, les barrages ont été démantelés, la Bourse, les banques et les écoles ont rouvert. Les ambassades d'Australie et du Japon, situées près de l'ex-«zone rouge», ont repris leur activité. Celle des Etats-Unis devait faire de même aujourd'hui, ont indiqué les médias. La Bourse, qui avait suspendu ses opérations mercredi dernier, a rouvert en baisse de 0,7%. Mais l'ombre des «rouges» est toujours là. Le couvre-feu a d'ailleurs été prolongé jusqu'à ce matin pour éviter tout nouveaux débordements même si les milliers de manifestants qui s'étaient mobilisés pendant des semaines ont rejoint leurs villages dans le Nord. Pour précision, les manifestants antigouvernementaux qui se font appeler les «chemises rouges», sont issus du nord pauvre du pays auquel le boom économique qu'a connu la Thaïlande ces dernières décennies n'a pas vraiment profité. Une raison pour laquelle ils se sont soulevés contre le gouvernement d'Abhisit Vejjajiva qu'ils accusent d'avoir renversé en 2006 leur leader en exil, Thaksin Shinawatra et de les priver de leur part du développement économique de leur pays. Pour eux, il n'y a que Thaksin qui a su les écouter depuis son élection en 2000 et son éviction est le fait de l'élite de Bangkok et de la monarchie. Mais Thaksin Shinawatra, considéré comme le grand magnat des télécommunications dans son pays, est accusé de corruption et de complot contre cette même monarchie qui gouverne, dans l'ombre, ce petit pays de l'Asie du Sud. M. Thaksin est également accusé d'être derrière le dernier mouvement de révolte des chemises rouges qui a suscité l'inquiétude de toute la communauté internationale. Hier, le Premier ministre Abhisit Vejjajiva a assuré que «tout est calme et revient à la normale», lors de sa sortie hebdomadaire à la télévision. Mercredi dernier, après l'assaut de l'armée dans la «zone rouge», M. Abhisit a reconnu que les défis qui attendent son pays sont énormes. Selon lui, l'arrêt des violences ne mettait pas fin à la profonde crise politique que connaît son pays depuis plusieurs années. «Après l'un des pires épisodes de [notre] histoire, nous reconnaissons que nous faisons face à d'immenses défis, en particulier celui de surmonter les divisions de notre pays», a-t-il déclaré, réitérant son appel à l'opposition «à rejoindre le processus de réconciliation». Le Premier ministre maintient en fait la feuille de route qu'il avait proposée le 3 mai dernier, comprenant la dissolution du Parlement et l'organisation de législatives anticipées avant la fin de l'année. La mise en œuvre de cette feuille de route permettra en fait de dépasser les clivages existants. Et ces clivages ne peuvent être bannis que si le gouvernement prend en charge les revendications socio-économiques des couches défavorisées, notamment celles vivant dans le nord du pays. M. Abhisit le sait aussi bien que l'élite proche de la monarchie de Bangkok. Toutefois, dans l'immédiat, il faudrait d'abord réparer les dégâts causés par deux mois de violences et d'émeutes. Le coût de ces destructions était estimé à 40 milliards de bahts (1,2 milliard de dollars) par la presse locale. Et le ministre des Finances Korn Chatikawanij a averti que la diffusion des images de Bangkok en feu sur les écrans du monde entier allait «avoir un impact désastreux sur le tourisme», qui pèse 6% du PIB de la Thaïlande, ont repris les agences de presse. Abhisit réussira-t-il à dépasser cette crise qui a failli l'avoir, d'autant qu'une motion de censure à son encontre vient d'être déposée par l'opposition au Parlement ? Cinq autres membres de son gouvernement sont aussi visés par cette motion. L'opposition avait soumis auparavant au président du Sénat, Prasopsuk Boondej, une motion de destitution visant le Premier ministre et d'autres ministres, ont rapporté les médias locaux. L. M. Chronologie des événements de la crise politique en Thaïlande : 14 mars : des dizaines de milliers de «rouges» s'installent à Bangkok pour réclamer la démission du Premier ministre Abhisit Vejjajiva qui se réfugie dans une base militaire. 2 avril : les manifestants occupent un deuxième quartier de Bangkok, Ratchaprasong, cœur commercial et touristique de la capitale. Ils délaisseront le premier à la mi-avril. 7 avril : le gouvernement déclare l'état d'urgence à Bangkok. 10 avril : premiers affrontements violents entre manifestants et forces de l'ordre. 25 personnes, essentiellement des «rouges», sont tuées et plus de 800 blessées. 22 avril : cinq grenades explosent lors d'un face-à-face entre manifestants pro et antigouvernementaux : un mort et 80 blessés. 3 mai : espoirs d'une sortie de crise. Abhisit propose une «feuille de route» qui prévoit la dissolution de la chambre basse du Parlement en septembre et la tenue de législatives anticipées le 14 novembre, en échange d'une levée du blocus. Les «rouges» accueillent favorablement cette initiative, mais réclament l'inculpation du vice-Premier ministre Suthep Thaugsuban, pour les violences du 10 avril qui ont fait 26 morts et près d'un millier de blessés. 13 mai : nouvelle montée de la tension. Abhisit annule les élections anticipées car les manifestants «n'ont pas évacué». L'armée boucle le quartier occupé. Le général Khattiya Sawasdipol, alias Seh Daeng, favorable aux «rouges», est mortellement blessé d'une balle dans la tête. L'état d'urgence est étendu à 15 provinces du Nord et du Nord-Est, bastion des «rouges». Plusieurs pays ferment leurs ambassades. 14-17 mai : scènes de guérilla urbaine à Bangkok. Les manifestants utilisent cocktails Molotov, pétards, pierres et parfois armes de poing contre les forces de l'ordre qui tirent à balles réelles. 39 morts, 300 blessés en quatre jours. Les autorités annoncent, le 17, la dispersion par la force «dès que possible» des protestataires. 19 mai : l'armée lance à l'aube l'assaut contre la «zone rouge». Bangkok s'embrase après la chute du camp des chemises rouges. 20 mai : les soldats ont repris le contrôle de la ville et ont rétabli un calme relatif. 21 mai : le Premier ministre thaïlandais Abhisit Vejjajiva déclare qu'il reste déterminé à mettre en œuvre un plan de réconciliation nationale. 22 mai : la police thaïlandaise, critiquée pour son indulgence envers les responsables des manifestants antigouvernementaux annonce avoir renforcé la sécurité entourant leur détention et confisqué leurs téléphones portables. 23 mai : le Premier ministre Abhisit Vejjajiva affirme que la vie reprend son cours à Bangkok mais annonce prolonger le couvre-feu jusqu'à la matinée d'aujourd'hui. L'opposition a, quant à elle, indiqué avoir déposé au Parlement une motion de censure contre M. Abhisit et cinq de ses ministres en exercice.