La fête du football commence en Afrique du Sud et la musique est au rendez-vous avec les nombreux musiciens sud-africains connus internationalement, comme Johnny Clegg.L'auteur-compositeur-interprète qui porte la voix du pays au-delà de ses frontières, a expliqué, dans une interview parue dans le dernier numéro de l'hebdomadaire Jeune Afrique, que «gouverner est plus difficile que conquérir». Ce symbole de la lutte contre l'apartheid et qui reste, aujourd'hui encore, un acteur majeur de la musique et de la politique, a considéré que l'organisation de la Coupe du monde de football par l'Afrique du Sud comme «un moment extraordinaire» car «l'Afrique du Sud a longtemps été un pays où l'on n'allait pas. Ses équipes ne pouvaient jouer nulle part». Et voilà qu'un an après l'élection de Mandela, «le rugby, boycotté pendant vingt ans par les Noirs et considéré comme blanc et afrikaner, devenait un moyen d'unir tous les Sud-Africains». Aujourd'hui «beaucoup d'habitants souhaitent que la Coupe du monde soit l'occasion pour l'Afrique du Sud d'être enfin considérée comme un pays normal». Et même si cette Coupe du monde «arrive à l'heure d'une terrible récession […] et qu'il y a ce que j'appelle la ‘‘contagion zimbabwéenne'' et le nationalisme africain radical qui peut effrayer -il y a eu l'assassinat de Terreblanche [leader de l'extrême droite blanche, NDLR], l'arrestation d'anciens soldats ayant comploté dans le but de gâcher la fête-, ce qui fait paraître de l'extérieur l'Afrique du Sud comme un hôte instable, pour moi, ces développements sont un signe de bonne santé». Pour Johnny, «les vrais problèmes vont être débattus pour la première fois. C'est ce qui doit arriver pour que le pays parte du bon pied». Evaluant les bons et les mauvais points de l'organisation de cette Coupe du monde, le Zoulou blanc considère que ses concitoyens vont, certes, bénéficier sur le long terme des infrastructures construites comme les routes et les services de transport mais il y aura cependant un débat inévitable dans les townships. «Nous avons demandé des aides de l'État, elles ont été refusées. Et le gouvernement a dépensé des milliards pour construire des stades qui seront bientôt vides, parce qu'ils se situent dans le bush. Les plus pauvres ont parfois l'impression d'avoir été trahis.» Et si le défenseur de l'apartheid reconnaît que, sur le plan économique, l'Afrique du Sud reste très en retard, «ce dont nous manquons le plus, c'est de savoir-faire. Il faut former des professeurs ! Si j'étais au gouvernement, je ferais de l'enseignement une priorité nationale». Et que font les politiques ? «La nouvelle génération de politiques est carriériste. Différente de la précédente, qui agissait en fonction d'une idéologie, d'un idéal. On a en fait besoin de technocrates capables de répondre aux attentes d'un public. Nous avons besoin d'administrateurs. Il faut développer une culture de la gestion. Ce sont ces mécanismes ennuyeux de gouvernement qui permettent à la démocratie d'exister.» Il s'agit aujourd'hui, comme l'explique le leader successif des groupes Juluka et Savuka, de transformer «une mentalité de la libération en une mentalité de gouvernement». Car, après trente ans de combat et d'efforts, le nouvel album de Johnny Clegg, Love in the Time of Gaza, contient encore une fois «une chanson sur la transformation de l'Afrique du Sud et sur cette majorité de Noirs qui n'a pas cueilli les fruits de la liberté». Cette majorité, Johnny l'a côtoyée durant ces mois de tournage. «Ce retour aux sources m'a permis de comprendre comment vit la nouvelle Afrique du Sud dans des endroits très éloignés où les gens de Johannesburg ne vont pas […] Me rendre dans des endroits où les gens dorment avec les portes ouvertes m'a permis de regarder d'un autre œil les statistiques et de prendre conscience du fossé entre la ville et les zones rurales.» H. Y.