De notre envoyée spéciale à Ghazaouet Amel Bouakba Le sourire illumine leur visage et la joie chasse le souvenir de la maladie. Ils sont hémophiles. Ces bambins n'avaient pas jusque-là l'occasion de s'adonner aux plaisirs de la mer ni de sentir le doux contact du sable gorgé de soleil sous leurs pieds. Une occasion unique leur a été donnée de profiter d'un agréable séjour au bord de la mer, à Ghazaouet. Le projet n'aurait pu voir le jour sans l'Association algérienne des hémophiles. L'occasion aussi pour 35 enfants hémophiles issus des quatre coins du pays de prendre part à des séances d'auto-traitement. L'idée est de les initier aux techniques et mouvements devant être effectués en cas de pansements et d'injections nécessaires à ce genre de maladie du sang et ce, en vue de les aider à s'auto-prendre en charge. Selon la présidente de l'association, les hémophiles vivent un calvaire au quotidien. Statistiquement parlant, l'hémophilie affecte une personne sur 10 000 habitants, soit 1 500 malades recensés en Algérie, victimes du handicap pour une grande partie et de décès précoce pour d'autres. Avec une farouche énergie, Latefa Lamhene, présidente de l'Association algérienne des hémophiles (AAH), mène un véritable combat pour faire aboutir les droits des malades. Manifestement, c'est une vraie battante qui ne baisse pas les bras devant les nombreuses entraves qui se dressent sur son chemin. Elle–même hémophile, cette jeune femme mène d'une main de fer diverses activités au profit des hémophiles qui, dit-elle, «sont victimes du nomadisme thérapeutique à cause d'un lot de problèmes qui se conjuguent au quotidien, dont le manque ou l'insuffisance de médicaments anti-hémophiliques, l'absence de traitement à domicile et de suivi dans les structures de proximité». Elle fait part également du retard dans la substitution du traitement anti-hémophilique, du manque d'information et de qualification du personnel soignant et de la méconnaissance de la maladie par les patients et leurs parents. C'est dans ce but qu'intervient cette colonie de vacances, organisée tout récemment dans la belle ville côtière de Ghazaouet, dans la wilaya de Tlemcen. Les enfants, âgés pour la majorité entre 10 et 14 ans, ont été hébergés dans l'hôtel Ziri de Ghazaouet. «C'est la première sortie d'enfants hémophiles sans leurs parents», dira Latefa Lamhene, pour qui cette colonie de vacances représente un véritable défi. Sponsorisé par les laboratoires Bayer et Novonordisk, ce séjour estival qui s'est étalé sur une période de huit jours a été organisé en présence d'un encadrement médical pluridisciplinaire. «Manach m'lah, djiboulna le facteur» Une phrase pressante scandée tout au long du séjour par les enfants hémophiles : «Manach m'lah, djiboulna le facteur.» Ce fameux traitement de l'hémophilie. Il consiste, en effet, en l'administration de facteurs de coagulation (facteurs VIII ou IX). L'indisponibilité de ce traitement a posé des années durant d'énormes problèmes. De pénurie en pénurie, les malades ont dû prendre leur mal en patience. Ce n'est que depuis une année qu'une solution commence à poindre grâce aux efforts consentis par l'Association des hémophiles, mais la détresse des malades est toujours perceptible sur le terrain. Salah d'Alger, Saïd de Aïn Témouchent, Samir de Tizi Ouzou, et tant d'autres enfants encore au destin similaire et issus de familles démunies mènent le parcours du combattant pour bénéficier de soins. Souvent, ils reviennent bredouille car on refuse de les prendre en charge sous prétexte qu'on ne connaît pas la maladie ou qu'on ne dispose pas de traitement. Hamid et Smaïl, deux frères hémophiles de Boudouaou, racontent le calvaire qu'ils vivent au quotidien. Ils se trouvent obligés chaque jour de se déplacer en quête de traitement. «A la clinique de Boudouaou, ils disent ignorer notre maladie, ils nous ont orientés vers l'hôpital de Beni Messous. On prend le bus très tôt le matin, vers six heures, en direction du CHU de Beni Messous et là, on nous annonce que le traitement n'est pas disponible.» Il y a lieu de noter à ce propos, selon un paramédical rencontré sur place, que l'hôpital de Beni Messous est en rupture de stock. Dans certaines structures, il y a refus de traiter des malades en situation d'urgence, c'est-à-dire non assistance à personne en danger, dénonce l'association de Latefa Lamhene. Les malades par la voix de la présidente de l'association interpellent le ministre de la Santé et de la Réforme hospitalière pour une meilleure disponibilité des traitements au niveau des hôpitaux et des structures hospitalières. Latefa Lamhene insiste dans ce sens pour l'application de la circulaire ministérielle 007 (janvier 2008) adressée aux directeurs de la santé et de la population des wilayas, aux directeurs généraux des CHU et aux directeurs généraux des EHS. Le document appelle ces derniers à une meilleure prise en charge des hémophiles pour leur éviter les déplacements incessants d'une structure à une autre et leur épargner ainsi une perte de temps préjudiciable. A la faveur de cette circulaire, il est rappelé à l'ensemble des structures hospitalières l'obligation de détenir un stock permanent d'anti-hémophiliques (VIII, IX, V) au niveau des pharmacies hospitalières afin de répondre à la prise en charge des urgences aussi bien adultes que pédiatriques. Le suivi de ce stock doit être rigoureux afin d'éviter toute rupture. La circulaire doit être rigoureusement respectée, ce qui n'est pas le cas, déplore la première responsable de l'Association des hémophiles. Apprendre à l'hémophile à se traiter lui-même Se prendre en charge, se sentir autonome et responsable, c'est l'objectif clé de la colonie de vacances qui joint l'utile à l'agréable. Les enfants ont fait de remarquables efforts lors de ce séjour. Ils ont appris les techniques à effectuer en cas de pansements et d'injections nécessaires à ce genre de maladie du sang. «Ils ont réussi le challenge. Celui d'amener les enfants hémophiles à se prendre en charge», dira le docteur Naïma Mesli, chef de service d'hémophilie au CHU de Tlemcen. «Cette opération s'inscrit dans le cadre du programme national visant à assister les malades et leurs parents pour mieux comprendre la nature de cette maladie», dit-elle. Selon elle, le type d'injection prise par le malade hémophile en cas de blessure «est nécessaire pour la coagulation du sang et pour lutter contre les hémorragies». S'agissant du budget consacré à cette maladie, elle dira qu'il reste insuffisant, d'où les ruptures de stock répétées. Il faut savoir que les prix de certains médicaments spécifiques à la coagulation du sang varient entre 15 000 et 20 000 DA et ne sont disponibles qu'au niveau des hôpitaux. «Nous voulons permettre aux malades de disposer de soins à domicile, l'utiliser à titre préventif en mettant en place un traitement prophylactique pour préserver leur capital articulaire et éviter les complications majeures, à savoir le handicap.» Selon cette spécialiste, l'hémophilie doit être considérée au même titre que le diabète, le malade pouvant ainsi disposer de son traitement à domicile. Le programme national de prise en charge des malades hémophiles concerne, dans un premier temps, quatre wilayas pilotes (Tlemcen, Alger, Tizi Ouzou et Setif), avant d'être généralisé à l'ensemble du territoire national prochainement. Outre ces séances d'éducation thérapeutique, les enfants hémophiles bénéficient des avantages du camp de vacances organisé par l'Association algérienne des hémophiles, en collaboration avec un laboratoire et le CHU de Tlemcen. Le programme du camp de vacances comporte diverses manifestations éducatives et pédagogiques sur cette maladie, ses symptômes et son aggravation face à l'absence d'un traitement. Il a été question aussi de nombreuses activités récréatives et des visites touristiques vers les sites de la wilaya de Tlemcen, tels le plateau de Lalla Setti, les vestiges de Mansourah et les grottes de Beni Add, des baignades sur des plages de la wilaya et des randonnées dans les bois.