Chaque été, une tradition ancestrale bien établie, qui consiste à offrir gracieusement de l'eau fraîche aux passants, refait surface dans les agglomérations urbaines de la région des Ziban comme un peu partout dans le pays. Ce geste par lequel on prend spontanément l'initiative d'offrir au commun des mortels la possibilité de se désaltérer en cette période de grandes chaleurs relève à n'en pas douter d'une générosité spontanée et sans contrepartie, et d'un sens du partage cultivé par les populations depuis des temps immémoriaux. Les contenants d'eau, de formes et de volumes très disparates, refont leur apparition un peu partout dans les quartiers et sont placés à l'entrée de certaines maisons et de beaucoup de commerces. Plutôt que de disparaître avec les nombreuses possibilités qu'offre la modernité, comme acheter des bouteilles d'eau minérale, la tradition s'est appropriée les moyens de cette même modernité pour mieux s'adapter à l'évolution des temps sans remettre en cause le sacro-saint principe de générosité. Des appareils réfrigérés dotés de distributeurs d'eau intégrés ont aujourd'hui remplacé les anciennes guerbas, cruches en terre cuite ou autres fûts en plastique recouverts de sacs de jute aspergés d'eau. Ces appareils sont parfois installés à l'intérieur des maisons et seul le robinet est apparent, à portée des mains des passants. Cela permet de réalimenter constamment l'appareil et d'assurer sa maintenance par les propriétaires des lieux, les femmes surtout. Il s'agit aussi de protéger l'installation contre tout acte malveillant car si la plupart des «bénéficiaires» de cette eau bienvenue sont reconnaissants et contents de pouvoir trouver de l'eau fraîche à leur portée, tous les passants n'ont pas, hélas, le même degré de conscience et de civilité. Il n'est pas rare, en effet, que certains d'entre eux ne se contentent pas d'étancher leur soif mais vont jusqu'à se laver avec cette eau potable ou carrément en emporter dans des bouteilles ou autres ustensiles... Dans la région de Biskra, située aux portes du désert et caractérisée par un climat continental particulièrement chaud et sec en été, l'acte de boire est un geste vital de tous les instants. «Offrir dans ces conditions de l'eau fraîche aux passants n'est point un geste anodin, comme on est tenté de le penser, mais un acte irremplaçable de solidarité et de citoyenneté», estime un chercheur en sociologie, Abdelkrim Thabet. La présidente de l'Association de promotion du patrimoine local, Mlle Hind Hizia, pense de son côté que ce comportement altruiste est la traduction d'une sorte de «mise à jour sociale» d'une tradition séculaire, à savoir celle d'offrir gratuitement de l'eau fraîche aux passants par le moyen de la guerba (outre en peau de chèvre). Désormais partie intégrante du mobilier urbain des villes et villages des Ziban, ces points providentiels de distribution d'eau fraîche, disséminés aux quatre coins de la ville comme une source intarissable de vie, invitent assurément à l'optimisme et à la conviction que tout n'est pas perdu.