L'opération Khanjar, l'offensive américano-afghane déclenchée par le brigadier-général Lawrence D. Nicholson dans la nuit du 1er au 2 juillet 2009 dans la province du Helmand, était la plus grande opération héliportée menée par les Etats-Unis depuis la guerre du Vietnam. Douze mois ont passé, et les troupes alliées stagnent sur le terrain. De fait, les Américains ont compris la décision du président Obama lorsque celui-ci a limogé, le 23 juin dernier, Stanley McChrystal, le général responsable des opérations. Le New York Times avait déjà présenté comme «chroniquement insubordonné» cet homme qui a pressé publiquement le secrétaire à la Défense Robert Gates d'envoyer davantage d'hommes et de matériel sur le sol afghan et qui a tenu des propos acerbes à l'encontre de plusieurs civils de haut rang, dont le vice-président Joe Biden, dans un numéro du magazine Rolling Stone, paru le 8 juillet dernier. Le journaliste Michael Hastings, en pointant les distances constantes entre le Président et le général, y rappelait deux affaires épineuses pour McChrystal : celle des mauvais traitements des prisonniers du camp Nama en Irak et celle du caporal Tillman, mort accidentellement en Afghanistan en 2004. Le retrait du général McChrystal intervient alors qu'une absence de consensus divise les Américains dans le soutien de la guerre en Afghanistan. Le conflit, qui a débuté le 7 octobre 2001, est désormais plus long que ne l'a été la guerre du Vietnam, qui a duré 103 mois. En près de neuf ans, ce sont 1 900 soldats étrangers qui ont péri sur le sol afghan, dont une centaine pour le seul mois de juin. Le président afghan Hamid Karzai lui-même, et bien qu'étant un allié solide de Washington, n'arrive pas à imaginer une issue à la guerre et songe à une négociation de paix. De leur côté, les contribuables américains se demandent combien de milliards de dollars ils devront encore débourser pour entretenir les effectifs sur le terrain. Le président Obama, qui promet lors de ses allocutions qu'il fera tout pour «mener à bien cette guerre nécessaire», tient en parallèle à rassurer son public en promettant un retrait des troupes américaines selon un calendrier prévu, dès juillet 2011. A la vue des positions de chacun, la guerre en Afghanistan se fait dans la confusion. C'est en réalité d'un conflit d'usure qu'il s'agit, et, de l'aveu de l'état-major militaire, le bout du tunnel serait loin. Accidentellement ou non, les forces de l'OTAN ont déjà provoqué la mort de quelque 90 civils au cours des quatre premiers mois de 2010, soit une augmentation de 76% par rapport à la même période en 2009. Les tenants de la stratégie mise en place, celle de la contre-insurrection (ou Counter Insurgency, COIN) sont confrontés à une population afghane méfiante, voire hostile. Ils ne tiennent en aucun cas à engendrer davantage de pertes civiles pour ne pas ruiner l'espoir de gagner la sympathie des villageois. Donald M. Snow, professeur émérite à l'Université d'Alabama et auteur de plus d'une quarantaine d'ouvrages sur la politique étrangère et les relations internationales, met pour sa part en doute la stratégie mise en place, qui puise certaines de ses inspirations dans la guerre d'Algérie, perdue en 1962, ou même celle du Vietnam : «La contre-insurrection est vouée à l'échec pour trois raisons. La première étant que l'Afghanistan est un pays trop vaste pour ce genre d'opération. De l'aveu même des experts, un militaire devrait idéalement assurer la protection de 1 000 habitants. Or, en Afghanistan, ce schéma aurait nécessité le déploiement d'une force de 660 000 hommes. La seconde est la question de la conversion de la population aux bienfaits d'une démocratie stable. La mise en place d'un gouvernement assurant cette transition n'est en rien garantie. La troisième, enfin, repose sur le calendrier des opérations. La stratégie de la contre-insurrection nécessite dix à quinze ans d'efforts. On peut déjà douter du fait que les Américains soutiennent la guerre en Afghanistan dans la prochaine décennie.» David Petraeus, l'homme de la situation ? David Petraeus a pris la relève de Stanley McChrystal pour diriger les opérations en Afghanistan le 23 juin dernier. Pour l'heure, l'homme, pressenti comme possible candidat à la Maison-Blanche en 2016, a bonne presse. Thomas E. Ricks, journaliste spécialisé dans les questions de défense et auteur du livre The Gamble où sont relatées les opérations militaires en Irak de 2006 à 2008, dépeint le général comme étant «exceptionnellement intelligent, costaud, régulé et qui sait tenir ses distances». La prise de fonction de Petraeus fut couronnée par une cérémonie organisée au QG de la force internationale d'assistance à la sécurité (Isaf), et son message fut entendu : «L'Afghanistan est un challenge difficile, mais les combats les plus rudes m'ont toujours intéressé.» A bien des égards, le général Petraeus débarque en Afghanistan dans des circonstances semblables à celles qu'il a connues lorsque, il y a trois ans, il était à la tête des opérations en Irak. Il a su y redresser la situation même si les Américains jugeaient le cas désespéré. Le général, qui dispose des 150 000 hommes de la force internationale de l'OTAN actuellement stationnés en Afghanistan, est partisan de la contre-insurrection, qu'il a lui-même esquissée. Il a travaillé à son évolution dans l'ombre de McChrystal. Bien que Petraeus entend marquer sa différence en procédant à des «ajustements nécessaires», il souhaite maintenir le cap que s'est fixé son prédécesseur en se focalisant sur la protection des civils. Il sera, par conséquent, en première ligne pour être jugé sur le succès ou l'échec de cette stratégie. Petraeus se distingue de McChrystal par davantage de tact dans sa communication mais aussi dans la négociation avec des acteurs sensibles sur le terrain. Sa réussite en Irak était due non seulement au renfort de 30 000 hommes qui ont rejoint ses troupes à Baghdad (le même renfort dont il dispose aujourd'hui à Kaboul), mais aussi aux accords qu'il a su passer avec des chefs rebelles, qui avaient pourtant juré la perte des Américains. Cela étant dit, les paramètres diffèrent d'un cas à l'autre. Le pays de Hamid Karzai, où le taux d'analphabétisme a été estimé à 71% par l'Unicef en 2007, est bien plus désœuvré que la nation dirigée par Nouri Al-Maliki qui est une terre urbanisée, plus instruite et plus riche de son pétrole. Petraeus reconnaît lui-même ne pas avoir de solution sur mesure. Selon le site usmilitary.com, «le général se doute que les moyens déployés en Irak ne produiront pas les mêmes résultats en Afghanistan. Il a même estimé que les choses allaient empirer avant qu'une amélioration de la situation se produise. Et les différences sociales, économiques et culturelles entre les deux pays apparaîtront de façon très nette à l'issue de la montée en puissance des forces alliées. Il ne faut pas oublier que, même en Irak, la pression sur les terroristes et les insurgés avait initialement donné cours à une escalade de la violence avant que celle-ci ne retombe à des niveaux d'avant-guerre. La situation en Afghanistan est plus explosive». Le site des forces militaires américaines en convient : Le commandant des forces de l'OTAN entend faire prendre conscience aux Américains qu'un pic de retombées militaires négatives serait atteint avant que la situation ne s'inverse, «la lutte contre le terrorisme n'ayant jamais été tentée sur une échelle aussi vaste que celle de l'Afghanistan». A l'heure des comptes, le pessimisme gagne bel et bien du terrain. Le premier journal anglophone du Pakistan, The News, suggère aux Américains de laisser le soin à Hamid Karzai et même aux Pakistanais de négocier la paix avec leurs voisins talibans «car, au bout de neuf ans de conflit, il semble indispensable d'aller vers les insurgés et d'entamer le dialogue», et le quotidien australien The Australian suggère tout bonnement aux Américains de régler rapidement la question car «compte tenu des prédispositions de Washington pour le soutien diplomatique sans équivoque d'Israël, El Qaïda peut aisément recruter des islamistes afghans et autres pour lutter contre les envahisseurs». Les analystes ont pourtant fait abstraction d'une donnée nouvelle : la récente découverte de gisements de minerais dans le sous-sol afghan. Les matières premières viennent bousculer l'équation Le magazine d'analyses économiques et politiques de Washington Foreign Policy a tenu à rebondir sur l'annonce du New York Times faisant état dans son édition du 14 juin dernier de «la découverte par des géologues américains en Afghanistan d'immenses gisements de fer, de cuivre, d'or, de cobalt, de pierres précieuses et de lithium, essentiel pour produire les batteries de téléphones mobiles et ordinateurs portables». Les spécialistes en conviennent : ces ressources, estimées à 1 000 milliards de dollars, pourraient changer la face de l'Afghanistan si elles étaient exploitées à bon escient, pour peu que le pays ne succombe pas à «la malédiction des matières premières» qui mine des Etats comme la République démocratique du Congo ou la Bolivie. De plus, comme Foreign Policy l'évoque, les retombées ne seraient pas perceptibles de sitôt «car, même en temps de paix, les projets miniers ne se concrétisent parfois pas avant une décennie».Et si de nombreuses sociétés du monde entier se sont déjà ruées sur le moindre petit gisement du pays, Stéphanie Sanok, du Centre d'études stratégiques et internationales de Washington, rappelle que les bassins miniers découverts cette année se situent dans des zones quadrillées par les talibans, comme les provinces de Ghazni, de Kandahar et de Zabul. Les perspectives sont pourtant bien réelles. A l'image d'une grande partie du monde, l'Afghanistan a un droit de propriété sur les matières de son sous-sol. L'Etat afghan, qui tirera bénéfice des droits d'exploitation, primes, redevances et autres paiements, invite bel et bien les entreprises : Selon qantara.de, des modèles de contrats pour l'obtention de droits miniers devraient être mis à disposition sur le site Web du ministère afghan des Affaires étrangères. Et le groupe chinois China Metallurgical Group, qui exploite déjà une mine de cuivre au sud de Kaboul, a versé trois milliards de dollars pour sa concession. Le quotidien Asia Times en est conscient : «Même si le Pentagone espère que ces ressources minérales changeront la face de l'Afghanistan pour en faire un pays industriel et moderne, il faut avant tout développer les infrastructures.» La version en ligne du journal précise par conséquent que la Chine est sur les rangs pour «établir des liaisons routières et ferroviaires solides avec l'Afghanistan, à l'image de la ligne Shirkhan-Bandar-Kondoz-Mezare-Sharif-Herat qui pourrait relier la première puissance d'Asie à l'Afghanistan en traversant le Tadjikistan». Un autre problème réside dans le degré de corruption du pays. Conrad Schetter, du Centre de recherche pour le développement à Bonn, en Allemagne, précise ainsi que «l'Etat de droit y est minimal» en ajoutant que «de grandes entreprises installées en Afghanistan pourraient dilapider une grande partie de la manne au détriment des caisses de l'Etat et de la population locale. Les projets, détournés, pourraient engendrer une escalade de la corruption et du clientélisme». Mais bien que l'administration afghane figure déjà parmi les plus inefficaces de la planète, les revenus générés par les matières premières pourraient, à en croire Foreign Policy, «aider l'Etat à se passer de l'aide internationale, qui couvre pour l'heure 70% de son budget, pour peu qu'un contrôle international se mette en place à Kaboul». Le site qantara.be va même plus loin en citant le cas de la Norvège «où des fonds ont été mis en place grâce aux revenus générés par le gaz naturel et le pétrole, avec l'exigence que l'argent soit dépensé à une date ultérieure sur des projets sociaux». Dans le contexte de la guerre actuelle, un optimisme naissant s'empare ainsi des experts. Car, aux dires de Foreign Policy, «même en favorisant le maintien en place d'un régime discutable, les richesses minérales pourraient entraîner un décollage économique pour que la paix s'instaure. Si l'insurrection mine principalement les pays pauvres, c'est en premier lieu parce que l'engagement dans des forces rebelles représente pour des paysans misérables un moyen de gagner leur vie. Lorsque les salaires augmentent, les groupes armés ont plus de mal à recruter et les violences diminuent». Les partisans de la contre-insurrection verront dans cette dernière analyse un déclin annoncé de l'emprise des talibans sur des pans non négligeables de la population afghane. Un recul de la pauvreté de l'Afghanistan annoncerait sans détour un virage important dans le conflit afghan au bénéfice du Pentagone. P. M .