Un gène, présent dans des bactéries responsables d'infections urinaires et pulmonaires, rendrait des antibiotiques inactifs. Les spécialistes sont partagés sur ce danger potentiel.Est-ce une alerte sanitaire majeure ou une découverte scientifique très médiatisée en période d'actualité creuse ? L'édition spécialisée dans les maladies infectieuses du Lancet, célèbre revue médicale britannique, a annoncé, mercredi, qu'un gène rendant la plupart des antibiotiques inactifs avait été isolé dans des bactéries communes, sources d'infections urinaires mais aussi d'infections pulmonaires ou de septicémies.«Ce gène diffuse dans des bactéries déjà résistantes qui deviennent multirésistantes», commente le Pr Patrice Nordmann, directeur de l'unité Inserm «Résistances émergentes aux antibiotiques». La plupart des souches ont été identifiées en Inde, au Pakistan (150 cas) et dans des hôpitaux au Royaume-Uni (une quarantaine de cas) chez des personnes d'origine indienne et pakistanaise ou ayant été hospitalisées dans ces pays. Une seule a été repérée en France, de manière fortuite, car le patient, qui avait été hospitalisé en Inde, n'est pas malade mais simplement «colonisé» par une bactérie. «Pas de quoi paniquer» La menace dévoilée cette semaine doit-elle être prise au sérieux ? Pour le Pr Jean-Michel Molina, chef du service des maladies infectieuses et tropicales à l'hôpital Saint-Louis à Paris, «il n'y a pas de quoi paniquer» : «Ces cas restent exceptionnels. On peut très bien être colonisé par ces bactéries sans être infecté et, lorsqu'elles se développent, les équipes médicales en sont informées et prennent toutes les mesures appropriées pour éviter leur propagation.» «On peut les attraper en serrant la main à quelqu'un» Moins optimiste, le Pr Nordmann identifie deux motifs majeurs d'inquiétude. Il estime tout d'abord que le phénomène, «en progression rapide», va continuer de se développer sur un sous-continent très peuplé, du fait des problèmes d'hygiène et de qualité de l'eau. «La Grande-Bretagne, qui entretient des liens très étroits avec cette partie du monde, sera forcément touchée.» Le médecin observe ensuite que certaines des bactéries (les colibacilles) mises au jour dans cette étude sont répandues dans tout notre environnement : «Jusqu'à présent, les bactéries multirésistantes avaient été observées en milieu hospitalier où elles sont plus facilement isolées. Là, c'est différent car on peut les attraper en serrant la main à quelqu'un ou en touchant un objet souillé.» Comment faire face à ce (potentiel) risque ? Les autorités françaises ont fait savoir hier qu'un dépistage bactérien serait effectué pour tous les rapatriés sanitaires. «En cas de voyage en Inde ou au Pakistan, il faut se laver très fréquemment les mains et éviter les boissons douteuses. Et, dans la mesure du possible, un rapatriement est préférable à une hospitalisation sur place», ajoute Patrice Nordmann. A plus long terme, le chercheur de l'Inserm espère que cette découverte poussera les laboratoires pharmaceutiques à investir dans la fabrication d'antibiotiques plus performants, un secteur de recherche délaissé depuis quelques années. «C'est parce qu'on utilise les antibiotiques de façon irrationnelle que ces bactéries multirésistantes se développent», rappelle le professeur Jean-Michel Molina qui prône leur utilisation modérée.