L'Algérie a la maladie des marchés. De gré à gré, après un appel d'offres fructueux ou non, que l'appel soit restreint ou bien tous azimuts, les marchés assis sur le magot rapporté par le sous-sol sont la gangrène qui peut, sur la durée, amener le pays à l'amputation de tous ses organes. Au cœur de toutes les prédations, du plus petit ralentisseur à double bosse sur toutes les rues et routes, en passant par le carrelage des trottoirs et les plus gros investissements publics, la corruption invente chaque jour des prétextes pour passer des marchés, les mécanismes et les hommes qui les réalisent en prenant au passage, ce qui est devenu la norme, une tchipa à hauteur du marché et du génie déployé jusqu'à son paiement en une ou plusieurs tranches.Bien entendu, dans un système qui ne sait pas, ne veut pas ou ne peut pas éradiquer une grosse partie de la corruption, certains discours, tellement répétitifs, finissent par dévoiler en 3D ce qu'ils cachent ou bien l'impuissance de cadres et de responsables qui aimeraient bien, qui voudraient bien, mais qui sont réduits au silence ou s'estimant courir de vrais gros risques s'ils s'entêtaient à rester honnêtes et dénoncer les vampires de l'économie nationale. Le poste, la carrière, l'avenir des enfants, le logement balnéaire sécuritaire peuvent aussi développer l'aphasie de beaucoup de ceux qui savent, mais qui restent intègres, prisonniers de réseaux trop puissants.L'autoroute Est-Ouest, le tramway (dans n'importe quelle ville), les milliers et les milliers de logements, l'Institut Pasteur, l'importation d'équipements lourds, de denrées alimentaires, de médicaments et même les humiliants couffins de Ramadhan, tout est ou peut être l'objet d'actes de corruption, de détournement, de gros gaspillages à chaque fois qu'il s'agit de grandes injections d'argent public. Les déperditions, les corruptions, les détournements et les vols seront durablement possibles tant que l'étude, la programmation et le chiffrage d'un projet, donc d'une dépense, ne sont pas étudiés à la loupe, bien avant le lancement des travaux. Cela permettrait d'avoir une vision fouillée et claire de chaque engagement financier, des délais jusqu'à la date, à un jour près de l'utilisation réelle, complète et définitive de chaque étape d'un projet. L'exemple de l'autoroute Est-Ouest, pour ne citer que celui-là, est emblématique des mécanismes, des procédures et décisions prises publiquement dans le temps, avec les exécutants et tous les partenaires engagés, bien entendu intéressés, pour la réalisation. Après des enquêtes et reportages publiés par la presse privée, les déclarations de citoyens et usagers de l'autoroute en question, on s'est aperçu qu'il manquait une série d'infrastructures et de services indispensables à la sécurité routière, au repos des utilisateurs et au paiement des droits de péage, etc. Des appels d'offres seront lancés avant la fin 2010 pour corriger le tir et installer, entre autres, des stations-service. Les retards en question, qui sont des défauts de planification ou des «oublis» volontaires, vont de fait donner naissance à de nouveaux appels à la concurrence, de nouvelles dépenses à inscrire pour un projet en partie livré, de travaux spécifiques… On reprend à zéro des segments indissociables du projet global de l'autoroute. C'est en cela que la décision de l'APN de ne pas avoir une commission d'enquête sur la corruption apparaît au moins cohérente à plusieurs niveaux. Tout d'abord, la législation, les structures et les classiques appareils et institutions de répression de la corruption (police, gendarmerie, DRS, Cour des comptes, justice, etc.) sont pléthoriques en la matière. Et, ensuite, étant donné l'incapacité totale de l'APN en matière d'initiation de lois, de contrôle ou de sanction de l'Exécutif, pourquoi l'encombrer encore d'une «chose» sans pouvoir aucun sur quoi que ce soit ? En vérité, lorsque l'Etat ne peut imposer aux boulangers et commerçants d'ouvrir obligatoirement les jours de fête selon un calendrier et des alternances, il lui est très difficile d'avoir un contrôle sur l'exécution d'un plan de près de 300 milliards de dollars. La corruption largement «démocratisée» n'a plus besoin de discours, d'instruments pour être progressivement éradiquée. En l'absence d'une volonté de lutte, de transparence, la progression de cette gangrène va compliquer la vie des citoyens, minorer et banaliser les orientations du Président face au fléau dopé par les dépenses publiques qui, paradoxalement, développent l'imagination des barons de la corruption. A. B.