Photo : S. Zoheir Par Sihem Ammour Plus de quatre mille ouvrages ont été publiés sur la guerre d'Algérie depuis 1955 de part et d'autre de la Méditerranée. Ces publications ont connu ces dernières années un véritable regain d'intérêt des deux côtés de la Méditerranée. Elles sont même devenues un véritable filon pour les maisons d'édition algériennes et françaises. L'histoire récente de l'Algérie, et de la France colonisatrice donc, est une source pour de nombreux historiens, essayistes et journalistes.D'ailleurs, ces publications prolixes ont été le sujet de nombreuses études dont celle publiée en 1996 par l'historien français Benjamin Stora, le Dictionnaire sur les livres de la guerre d'Algérie, aux éditions l'Harmattan. Dans ce dictionnaire, qui dresse une bibliographie «aussi vaste que possible des ouvrages parus entre 1955 (première année de production de livres sur la guerre d'Algérie) et 1995», l'auteur présente plus de deux mille livres, avec un millier de résumés d'ouvrages englobant des romans, des essais, des témoignages et des biographies.Dans la même veine, en 2006, les éditions Chihab, publient Les écrits de Novembre, du même auteur. Un ouvrage entièrement consacré aux divers écrits qui traitent de l'impact de la guerre d'indépendance sur les publications de ces cinquante dernières années. Il est à souligner que Benjamin Stora, qui a signé une vingtaine d'ouvrages sur la Guerre d'Algérie et le Mouvement nationaliste algérien, axe son travail cette fois, sur les écrits de guerre et plus spécifiquement sur les témoignages émanant des deux rives de la Méditerranée considérant que «vecteur de la transmission du savoir et de la fabrication de l'imaginaire, le livre joue un rôle immense dans l'histoire de la Guerre d'Algérie». Dès le lendemain du déclenchement de la révolution algérienne, soit dès 1955, apparaissent de nombreux ouvrages qui sont publiés sur ce drame qui se joue en Algérie et dont le plus poignant reste l'incontournable La Question, d'Henri Alleg, publié pour la première en 1958, considéré comme le premier témoignage sur la torture commise par l'armée coloniale en Algérie. Depuis de nombreux autres écrits ont été publiés autour de la question de la torture mais La question demeure aujourd'hui un témoignage de référence sur les dérives et les horreurs d'un système et de la guerre. La même année, Malek Haddad publie La dernière impression sous forme romanesque qui aborde aussi à sa manière les premières années de la guerre d'Algérie. Mais il faut attendre la fin des années soixante, plus précisément en 1968 pour la publication d'un ouvrage avec un grand impact sur le grand public. En effet, cette année, Yves Courrière publie La guerre d'Algérie, véritable fresque historique publiée en quatre tomes chez Fayard et qui seront réédités en deux volumes en 2001. Dans Les Fils de la Toussaint, Le Temps des léopards, L'Heure des colonels, Les Feux du désespoir, Yves Courrière, à travers les nombreux témoignages et divers documents, trace la chronologie des faits qui ont marqué la guerre de libération nationale depuis le déclenchement de la guerre de la révolution algérienne, en 1954, aux Accords d'Évian le 19 mars 1962. Sa vision de la guerre d'Algérie connaît toujours autant de succès même quarante ans après sa publication, les férus d'histoire pourront trouver cet ouvrage au niveau du 15ème SILA. Il est à souligner que pour l'acquérir, il faudra débourser la coquette somme de 4 500 DA. Le nouveau millénaire ou la guerre des mémoires Les années 2000 marquent un nouveau tournant dans l'écriture sur la guerre de la libération nationale. D'une part, depuis quelques années, du côté algérien, on assiste à une véritable volonté de briser le silence autour de certains tabous de l'histoire de la guerre de libération nationale émanant des acteurs mêmes ou de leurs proches. Les nombreux ouvrages publiés sur Messali El Hadj, la wilaya IV et plus récemment des écrits sur les parcours des personnalités emblématiques à l'instar du colonel Amirouche et Abane Ramdane ainsi que d'autres témoignages sur la wilaya III dont un pan de l'histoire a été occulté, ont suscité au jour d'aujourd'hui de nombreuses polémiques et battent aussi des records de vente. D'autre part, la fameuse loi de 23 février 2005 sur le rôle positif du colonialisme française a fait réagir plus d'un pour dénoncer «un révisionnisme de l'histoire». Des historiens et témoins de l'époque ont voulu apporter leurs témoignages pour donner leur vérité sur les exactions commises par l'armée et le colonialisme français.En Algérie, les éditions Casbah, Chihab ainsi que d'autres maisons d'édition sont autant de tribunes ouvertes à des témoignages historiques majoritairement suivis par des polémiques. Ainsi, en 2002, Ali Kafi soulignait : «J'ai tenté de dévoiler certaines vérités sur la révolution algérienne, qui sont rendues publiques pour la première fois» dans son ouvrage intitulé Du militant politique au dirigeant militaire - Mémoires (1946-1962) publié aux éditions Casbah. Dans le même esprit, citons l'exemple Aux sources du nationalisme algérien de Kamel Bouguessa, publié aux éditions Casbah qui souligne : «Après plusieurs années de censure, le voici enfin livré pour la première fois au public, une somme formidable d'archives secrètes et totalement inédites». Depuis, la boîte de Pandore est ouverte et des sujets longtemps refoulés au fond des mémoires surgissent au grand jour, Le massacre de Melouza, la «bleuite», la Wilaya III, la crise algéro-algérienne à la veille de l'indépendance, les témoignages sur la wilaya IV, et plus récemment les vérités sur «l'affaire Abane Ramdane» ou sur le «colonel Amirouche». Ainsi, au nom de la réappropriation de la vérité historique des sujets victimes d'une censure qui ne disait pas son nom ou bien occultés par les mémoires sont transcrits noir sur blanc quitte à créer des véritables séismes au sein de la famille révolutionnaire.Pour rappel, la polémique qui a marqué l'été 2010 suite à la publication du brûlot de Saïd Sadi, Amirouche, une vie, deux morts et un testament, montre encore une fois que certains sujets sont toujours aussi sensibles. Il est à noter que le colonel Amirouche, après avoir longtemps été victime de manipulation historique de son personnage est de plus en plus le sujet de témoignages qui tentent de «réhabiliter la vérité» à l'instar de ceux de Djoudi Attoumi, compagnon d'Amirouche que l'on a surnommé le Lion de la Soummam «Le colonel Amirouche entre légende et histoire» et «Le colonel Amirouche à la croisée des chemins» publiés aux éditions Ryma. Abane Ramdane, un autre grand architecte de la révolution algérienne dont le parcours a longtemps été occulté des écrits historiques officiels sur la guerre d'Algérie dont l'assassinat est toujours entouré de zones d'ombre, est aussi le sujet de prédilection de certaines publications dont la plus percutante est celle d'un de ses proches, Bélaïd Abane qui a publié Abane Ramdane et les fusils de la rébellion. Il est souligné dans la présentation de l'ouvrage qu'«Abane Ramdane retrouve sa place dans cette révolution algérienne à laquelle il a incontestablement imprimé sa marque au cours des trente premiers mois, décisifs, de l'insurrection. L'homme, son engagement et son action sont restitués dans la complexité du mouvement armé de libération.» La loi du 23 février en France suscite un véritable tollé auprès des historiens et certains auteurs qui s'insurgent contre «le révisionnisme historique» et luttent contre l'oubli. En 2004, est publié La guerre d'Algérie (1954-2004). Quand des ouvrages français combattent le «révisionnisme historique» La fin de l'amnésie de Benjamin Stora et Mohammed Harbi qui réunit vingt-cinq historiens, toutes générations, toutes nationalités, toutes origines confondues et qui montre encore une fois que les historiens sont loin d'avoir tout dit sur la Guerre d'Algérie. Il y a aussi les crimes de l'armée française, Algérie 1954-1962, de Pierre Vidal-Naquet publié pour la première fois en 1975 puis réédité récemment au moment où le sujet est revenu au devant de la scène française. L'ouvrage, qui se veut «un document contre l'oubli», offre aux lecteurs des documents exceptionnels qui rassemblent des textes émanant des autorités militaires, politiques et administratives françaises et des témoignages d'officiers et de soldats. «Ils apportent la preuve de ces crimes dont l'armée française s'est rendue coupable en Algérie, mais aussi en Indochine, et dont les responsables ont tous été amnistiés sans avoir même jamais été sérieusement inquiétés.»Aussi l'Ennemi intime de Patrick Rotman aux éditions Chihab prend toute son ampleur. Un ouvrage où «ces témoignages sur la guerre d'Algérie recueillis en France, quarante ans après les faits, auprès d'anciens militaires, appelés, simples soldats ou officiers de carrière se veulent un mea culpa de la conscience française sur son passé de guerre coloniale en Algérie. Une façon de se débarrasser du syndrome de la torture».Plus récemment, «François Mitterrand et la guerre d'Algérie» aux Editions Calmann-Lévy, le livre choc de François Malye et Benjamin Stora, est un véritable pavé dans la mare où il est souligné que «La France a mis cinquante-trois ans pour découvrir que François Mitterrand était un boucher.[…] Mitterrand, qui se révèle sous son véritable visage d'ordonnateur de la guillotine. Quarante-cinq martyrs algériens sont passés sur l'échafaud par la seule volonté d'un homme qui fut président de la France».Il est à noter que Benjamin Stora sera présent au 15éme SILA le 2 novembre prochain pour présenter à 17 heures une conférence intitulée «Mitterrand et l'Algérie».Au final, la révolution algérienne et la guerre d'indépendance resteront encore pour longtemps une source inépuisable d'écriture. Au-delà de la guerre des mémoires, il devient aujourd'hui nécessaire que tous les acteurs s'expriment pour, qu'enfin, vienne le jour, où toutes les vérités soient faites sur une lutte d'indépendance qui n'a pas encore dévoilé tous ses secrets.