L'Afrique a les taux de pauvreté les plus élevés du monde. En dépit du succès annoncé de quelques pays dans leurs efforts tendant à réduire ces taux de moitié d'ici à 2015 - premier des huit Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) - la majorité du continent reste loin du compte. Les inégalités de revenus y sont plus importantes qu'ailleurs et diverses disparités (sexuelles, ethniques et régionales) persistent.Ces injustices se perpétuent pour plusieurs raisons : une croissance économique médiocre et inapte à produire des emplois ; la fragmentation et le sous-financement des politiques sociales ; l'inefficacité des Etats à répondre aux besoins de leurs citoyens.Après la contraction des économies africaines des années 1980 et 1990, la croissance a repris de 2000 à 2007 grâce à la hausse des cours des produits de base et aux progrès de l'économie mondiale. Ceci a permis à des pays comme l'Ethiopie, le Ghana, le Mali et le Sénégal de réduire la pauvreté qui est toutefois restée élevée. Ailleurs dans le monde, la hausse des revenus a accompagné une croissance forte, provoquant le passage de l'agriculture à l'industrie, puis de l'industrie aux services. En Afrique, l'évolution a été différente : l'industrialisation est sous-développée, la productivité de l'agriculture et des services demeure faible. Résultat : le marché du travail est segmenté et inégal. Le sous-emploi est très répandu, les revenus des activités de l'économie parallèle et de l'agriculture restent faibles. Même des économies relativement diversifiées comme celle de l'Afrique du Sud connaissent un chômage de masse persistant. Les conditions de travail sont particulièrement médiocres pour les femmes.Une croissance génératrice d'emplois reste difficile à atteindre pour deux raisons. En premier lieu, la mondialisation a affaibli les liens entre l'agriculture et l'industrie. Les populations urbaines sont principalement nourries par des importations alimentaires, ce qui porte atteinte au secteur agricole national. L'agriculture et l'industrie ont, par conséquent, stagné. En deuxième lieu, les idées néolibérales sur le marché continuent de dominer les politiques macroéconomiques et de favoriser la restriction des dépenses, les privatisations et la libéralisation des marchés. Dans cette perspective, l'emploi est considéré comme un sous-produit de la croissance ne requérant aucune politique particulière.Mais obtenir une croissance équitable et génératrice d'emplois exige des politiques déterminées et les Etats africains pourraient notamment relier davantage l'agriculture à l'industrie et aux autres secteurs, accroître la production nationale et encourager la demande de produits et de services offerts localement, investir dans les infrastructures et dans l'éducation pour améliorer les qualifications de la main-d'œuvre et la qualité des emplois ouverts aux femmes, éviter les politiques d'austérité pendant les périodes de faible croissance, et demander des réformes au niveau mondial pour réduire les fortes fluctuations des cours des produits de base et des taux d'intérêt, pour éliminer les subventions agricoles dans les pays riches et élargir l'accès des exportations africaines aux marchés du Nord.Les investissements dans le domaine social peuvent aussi permettre de réduire radicalement le niveau de la pauvreté. Au cours des années 1960 et 1970, les dépenses publiques consacrées à l'éducation et à la santé ont rapidement progressé dans la plupart des pays d'Afrique. Mais dans les années 1980, les crises économiques et des politiques extrêmes en faveur des marchés ont conduit à des coupes claires dans les dépenses sociales de la plupart des pays. La charge de leur financement a été transférée aux consommateurs sous forme de redevance aux usagers. Au Kenya, les dépenses consacrées par le gouvernement aux services de base sont passées de 20% du total des engagements budgétaires en 1980 à 12% en 1997. Si bien que les groupes à faibles revenus n'ont plus eu accès qu'à des services médiocres.Les pays où la pauvreté a reculé rapidement étaient dotés de systèmes politiques qui encourageaient la croissance économique et renforçaient à dessein les programmes sociaux. La plupart ont également mis en place et entretenu des administrations compétentes, institutionnalisé des droits définis et installé des régimes démocratiques. À l'île Maurice, l'une des plus anciennes démocraties africaines, les petits exploitants agricoles se sont alliés avec les travailleurs agricoles et les syndicalistes des villes pour forcer l'Etat à institutionnaliser des droits sociaux. À ce jour, les expériences africaines indiquent que les mesures anti-pauvreté qui ne sont pas liées aux systèmes de production, aux politiques sociales et au contexte politique n'auront que des résultats mitigés. Pour obtenir un impact maximal, il est indispensable de coordonner de manière efficace les politiques et les institutions économiques, sociales et politiques. Y. B. *Yusuf Bangura est coordonnateur des recherches à l'Institut de recherche des Nations unies pour le développement social à Genève (Suisse).In Afrique Renouveau