Hosni Moubarak ne semble pas préoccupé par la colère de son peuple qui, décidé d'en découdre avec le régime, n'a pas interrompu ses manifestations dans tout le pays depuis une semaine. Le Président, lui, continue de nommer des militaires au sein du gouvernement. Après la désignation du général Mohamed Chafik à la tête de l'Exécutif, Hosni Moubarak, qui a reconduit, hier, une bonne partie de ses anciens ministres, a remplacé le ministre de l'Intérieur Habib El Adli, dont les manifestants réclamaient le départ, par un général, Mahmoud Wagdi. Mais c'est loin de répondre aux aspirations de la rue qui demande le départ du chef de l'Etat. Pour se faire entendre, les Egyptiens ont décidé d'une marche géante aujourd'hui. Le mouvement de contestation a lancé un appel à la grève générale et à une marche «d'un million» de personnes pour faire pression sur le régime. Réaction du pouvoir : interruption du trafic ferroviaire. Est-ce que cette décision va arrêter le peuple ? Pas évident. Les Egyptiens ont, depuis le début des manifestations, bravé le couvre-feu, les balles en caoutchouc et les bombes lacrymogènes. Ils se sont heurtés violemment et à plusieurs reprises aux services de sécurité. Des heurts qui ont fait plus de 125 morts et près de 3 000 blessés. Hier encore, la place de la Libération, épicentre de la contestation dans le centre du Caire, tout en étant cernée par les chars, n'a pas désempli et les manifestants comptent sur le bouche à oreille pour diffuser leur appel, Internet restant bloqué et le service de messagerie mobile perturbé. L'opposant et prix Nobel de la paix Mohamed El Baradei, chargé par l'opposition de négocier avec le régime, n'a pas encore entamé cette tâche. Dimanche dernier au soir, il est allé au-devant des manifestants au Caire en promettant une ère nouvelle. «Je vous demande de patienter, le changement arrive», a-t-il dit par porte-voix aux milliers de manifestants. La question qui s'impose est celle de savoir si El Baradei va négocier avec le régime Moubarak – ce qui risque d'être perçu comme une trahison par le peuple qui demande le départ du Président - ou avec celui qui prendra le pouvoir par intérim. Jusqu'à hier, rien ne présageait que le chef d'Etat égyptien allait déléguer ses pouvoirs. Il a même, dans un message lu à la télévision, chargé son Premier ministre Ahmad Chafik de promouvoir la démocratie par le dialogue avec l'opposition. Pourtant, la déclaration, dimanche dernier, de Hillary Clinton, la chef de la diplomatie américaine, sur la chaîne CBS, ouvrait la brèche à ce scénario. Elle avait appelé, rappelons-le, à «une transition en bon ordre». Une déclaration faite le lendemain de la nomination de Omar Souleïmane, le chef du renseignement égyptien, comme vice-président. Le général Souleïmane, responsable de dossiers délicats de politique étrangère, notamment celui du conflit israélo-palestinien, continuera à maintenir les équilibres de la région et c'est là le premier souci américain. Ce qui pousse à penser que le maintien de Moubarak à la tête de l'Egypte n'est plus une nécessité absolue pour les Etats-Unis. D'ailleurs, plusieurs experts américains ont affirmé, hier, que «le départ du président Hosni Moubarak du pouvoir est une quasi-certitude». La grève générale et la marche géante auxquelles a appelé aujourd'hui le mouvement de contestation seront le test décisif qui fera tomber ou non le régime Moubarak. En attendant, plusieurs pays et entreprises continuaient hier de rapatrier ou de réduire le nombre de leurs ressortissants expatriés en Egypte. Signe d'une inquiétude grandissante, certaines entreprises étrangères ont annoncé la suspension de leurs activités, comme le cimentier français Lafarge et le constructeur automobile Nissan. De nombreux pays dont les Etats-Unis, le Canada, l'Arabie saoudite, la Libye, le Liban, la Thaïlande, le Japon et l'Australie ont dépêché des avions pour ramener leurs ressortissants. Israël a assuré le retour des familles de ses diplomates, Vienne essayait d'organiser celui des Autrichiens qui le souhaiteraient. H. Y. Lire également page 4