Photo : S. Zoheïr Par Ali Boukhlef «Le régime ne peut pas proposer de solution parce que c'est lui le problème.» C'est sous les voûtes faisant face au port d'Alger que Saïd Sadi, président du Rassemblement pour la culture et la démocratie, s'est adressé à quelques journalistes algériens et étrangers. Accompagné du légendaire avocat, Ali Yahia Abdennour, il venait d'être poussé par les policiers à quitter la place des Martyrs où il tentait, lui et les militants ayant répondu à l'appel de la Coordination nationale pour le changement démocratique, de marcher comme chaque samedi depuis le début du mois de février.L'arsenal policier déployé, hier matin, autour de la place des Martyrs à Alger était impressionnant. S'il ne diffère pas de ceux mobilisés les semaines précédentes en termes de mobilisation, il était plus violent. Matraques rangées, mais vite remplacées par les coups de poing et les coups de pied, les policiers ont fait preuve, dès l'apparition des premiers manifestants, d'un zèle inégalable et d'une violence rare. Il est 10 heures passées de quelques minutes quant un premier cortège de manifestants, à la tête duquel se trouve Saïd Sadi, s'est ébranlé de la rue Bab Azzoun à destination de la place des Martyrs. Ce qui reste de cette mythique arène – des travaux de métro ont fermé une bonne partie de la zone - est bouclé, depuis l'aurore par des barres métalliques et des policiers antiémeute. Même les riverains ne sont plus autorisés à prendre un café ou fumer une cigarette sur un lieu qui, entouré de quartiers populaires, ne désemplit jamais. Surtout, lors d'une journée de repos hebdomadaire ensoleillée. Il ne reste donc aux marcheurs que les rues environnantes. A peine apparus, des policiers les attendent. Ils réussissent, sans trop forcer, à traverser le boulevard Che-Guevara. Pris en tenailles, ils se dispersent. Saïd Sadi, entouré de quelques militants et de ses gardes du corps, est malmené, mais il résiste.De l'autre côté, face à la mer, d'autres groupes tentent de se constituer. «Algérie libre et démocratique», le slogan cher aux militants de la démocratie, fuse de partout. Ali Yahia Abdennour arrive. Il se met à l'écart de la cohue. Il n'a plus l'âge de faire face à cette armada de policiers. «Nous sommes venus marcher, non pour parler», dit-il gentiment à une journaliste de la télévision algérienne venue l'interroger. Pendant ce temps, Sadi se bat avec des policiers. Il monte, non sans peine, sur un véhicule de police. Un petit geste de la main en direction des manifestants et il descend, sous l'insistance des policiers. Dans l'impossibilité de marcher, des groupes se forment un peu partout. «Le peuple veut le départ du régime», entonne-t-on ici et là. «Dispersez-vous», répondent les policiers, particulièrement nerveux. Pour une fois depuis le début de ces manifestations, des journalistes ont été malmenés. Empêchés de travailler sereinement, les hommes et femmes des médias, venus en nombre et des quatre coins du monde, sont obligés de jouer au chat et à la souris avec les policiers. Un correspondant d'une chaîne française a été blessé. Des photographes ont été bousculés, tandis que des journalistes ont été soit insultés soit incommodés. «Dites à qui vous voulez que nous vous avons bousculés», crie un officier à la face d'un journaliste qui explique qu'il n'est là que pour faire son travail. Le député du RCD, Mohamed Khendek, a été évacué à l'hôpital suite à une chute. Sa collègue Fetta Sadat a subi le même sort. Au moment où nous mettons sous presse, aucune information concernant ces deux parlementaires n'est parvenue.Poussés vers le contrebas des voûtes du Front de mer, Saïd Sadi et Ali Yahia Abdennour sont encerclés. Pris en tenailles, ils n'en sortent que vers midi et demie. Ils en ont profité pour faire des déclarations à la presse. «Tous les dictateurs du monde arabe et d'Afrique vont tomber durant cette décennie», affirme Ali Yahia Abdennour. Selon lui, «lorsque les Algériens apprendront les vraies proportions de la corruption dans leur pays, ils vont se rendre compte que cela dépasse de loin ce qui s'est passé en Egypte et en Tunisie». «Le régime a dilapidé les caisses de l'Etat pour s'acheter une nouvelle clientèle. Il joue sur l'usure. Nous, nous jouons sur la durée», dira de son côté Saïd Sadi. «Nous descendons dans la rue chaque samedi jusqu'à la chute de ce régime», soutient encore le leader du RCD. De l'autre côté de la rue, en face de la mairie de la Casbah, des jeunes portant les portraits de Bouteflika font leur apparition. Non contents d'insulter les manifestants qu'ils invitent à «rentrer chez eux», ils leur jettent des pierres et des projectiles. Les policiers n'interviennent que pour demander aux manifestants de se disperser. Quant aux agresseurs, ils se sentent en tranquillité. Presque «chez eux». Même lorsqu'ils demandent de «la drogue gratuitement».La manifestation a pris fin vers midi. Les marcheurs, ou le peu qui reste, sont conduits dans les contrebas du square Port-Saïd. Les policiers leur ont signifié que «l'accès à Alger est interdit». A. B. Manifestation de la CNCD à Bouira Plusieurs dizaines de citoyens, partisans de la Coordination nationale pour le changement et la démocratie à Bouira, ont tenu leur marche au niveau du chef-lieu la wilaya, depuis la place des Martyrs de la ville vers le siège de la wilaya, et ce, suite à l'appel de cette structure qui exige le changement du système et plus d'ouverture démocratique dans le pays. Sur le parcours, les marcheurs, parmi lesquels on dénombre des militants du RCD et des anciens délégués du mouvement citoyen des archs de certaines communes, ont scandé des slogans définis par ladite structure, sous le regard de plusieurs curieux et des policiers. A l'arrivée sur l'esplanade du siège de la wilaya, des interventions ont été faites par les organisateurs pour retracer les objectifs tracés par la CNCD à travers des manifestations initiées par celle-ci au niveau de la capitale, en dénonçant au passage les interdictions et la répression qui ont caractérisé celles qui ont été tenues depuis le début du mois. Notons que cette marche locale n'a enregistré aucun dépassement et que les portes des magasins ont été ouvertes durant la marche.