Modestie, générosité, disponibilité. Et de même, placidité, équanimité, savoir-faire et savoir-vivre. Les mots, les vocables et les adjectifs, même quand ils sonnent juste, restent totalement impuissants quand il s'agit, après coup, de résumer la vie d'un journaliste qui a guidé d'une main fraternelle nos premiers pas de bizuth. Mais ils vous posent quand même l'homme comme ils dessinent sa philosophie de la vie. Ils esquissent aussi sa conception d'un métier pour lequel il s'est consumé dans le silence des sages et l'effacement des humbles. L'homme et le journaliste formaient deux entités accordées dans une silhouette de haute taille, flexible et délicate. Mokhtar Haider était aussi une voix. Douce et grave, elle ne s'élevait que lorsqu'il entonnait avec le bonheur du mélomane les chansons de Mohamed Abdelwahab, le pharaon de la chanson égyptienne. Dans les couloirs de l'APS, l'agence étatique du temps du parti unique et de la police politique omnisciente, cette voix vivante disait que l'homme, dans son infini raffinement, avait un certain goût de vivre et une volonté tranquille mais certaine de vivre un jour son métier comme une passion pour la vie. Oui, Mokhtar Haider était un journaliste de grande classe et un gentleman algérien bien digne de ce nom. Avec Mokhtar, on partageait également l'amour de Soustara, notre «houma» commune. Quartier de nos enfances pauvres mais si heureuses, à la lisière de la Casbah, mère tendresse tant aimée qui lui a donné la vie. On avait aussi en bien commun et en souvenirs décalés le lycée Emir-Abdelkader, ce haut lieu de communion pédagogique, baptisé Bugeaud lorsque l'aîné l'avait fréquenté. De 1959 à 1961, Mokhtar Haider y fit ses humanités littéraires et y forgea son amour des belles lettres et de la poésie. L'un comme l'autre avions aussi une certaine appétence pour la musique arabe et un goût immodéré pour la chanson orientale. Mokhtar, encore plus et toujours plus fort, connaissait les vedettes et leur art sur les modes mineur et majeur. Connaissance intime. Sur tous les tons, même quand il s'agissait, avec une oreille musicale incomparable, d'en apprécier jusqu'aux moindres quarts de ton. Sayyid Darwich, Mohamed Abdelwahab, Oum Kalsoum, Farid El Atrache, Ismahane, Abdelhalim Hafed, Abdelaziz Mahmoud, Mohamed Qandil, Fayda Kamel, Leïla Mourad, Wadi Essafi et Fayrouz n'avaient aucun secret pour lui qui connaissait par cœur leurs riches répertoires et leurs trajectoires d'étoiles filantes. Cette connaissance incomparable de la musique arabe, de la chanson maghrébine et de la discographie algérienne, notamment du chaabi, du malouf, du hawzi, du seraoui et du bédoui, il la mettra au service des auditeurs et des téléspectateurs de la radio et de la télévision algériennes. Avec feu Abdelkader Talbi comme avec Abderrezak Djebaïli, deux autres magnifiques musicologues, il avait animé des émissions musicales de très haute facture. De sa voix posée et avec son verbe percutant, à travers son et image, Mokhtar propageait de la culture et distillait de la tendresse. Diplômé de l'Ecole de journalisme d'Alger quand celle-ci formait encore des journalistes et suscitait les vocations, Mokhtar, qui y enseigna plus tard, avait une conception pédagogique de son métier qu'il voyait comme une école de labeur et de générosité pour les plus humbles parmi les folliculaires. Son idée de la clarté et de la simplicité l'incitait à vouer un culte rigoriste au sujet, au verbe et au complément dont il disait que leur respect est à la base même du devoir d'informer et de l'exigence d'éclairer. Oui, Mokhtar Haider, grand frère aimé et respecté malgré le poids de l'âge et le temps qui sépare, aura appris à tous ceux qui l'ont côtoyé, apprécié, estimé et aimé que le métier de journaliste est une exigence. Exigence de rigueur. Exigence de modestie. Exigence de remise en cause perpétuelle qui fait du journaliste un humble serviteur et un honnête intermédiaire. Un modeste éclaireur, éclairé lui-même par les servitudes de son métier, responsable de la moindre virgule. Pour lui, le journalisme, qu'il exercera un temps au quotidien la Tribune et, plus tard, au journal Liberté dont il fut un collaborateur assidu et créatif dans les pages économiques, c'est la responsabilité et le respect. Ceux d'écrire, de dire et de donner à voir. Alors, grand frère, si proche des autres, que la distance et l'exil a, un jour, écarté du chemin commun de la confraternité, repose en paix. En musique, de préférence. Comme tu le mérites. En toutes lettres de noblesse. Les yeux pleins de poésie, l'oreille gavée de sons mélodieux et de rythmes divins. Là où tu es, auprès du Divin, salut l'artiste ! Et à bientôt ! N. K.