Photo : S. Zoheir Par Noureddine Khelassi Il y a quelque chose de rafraîchissant à voir le secrétaire général du Front des forces socialistes (FFS) détourner, au sens politique noble du terme, une récente et désormais célèbre harangue d'Attila de Tripoli. Il est même réjouissant de l'entendre battre sa coulpe, faisant l'éloge de la politique de proximité, en clamant qu'il faut dorénavant en faire «chibr-chibr, bit-bit, dar-dar, zangua-zangua, fèrd-fèrd». Alors que l'opposition est toujours éparpillée, généralement asthénique et souvent aphone, quelque chose rassure dans les propos de l'énergique Tabbou qui exhorte à pratiquer la politique «portion par portion, empan par empan, maison par maison, rue par rue, individu par individu».S'il n'y avait de politique digne de ce nom que celle qui se conjugue au quotidien et dans la proximité, il est tout aussi réconfortant de constater que l'opposition algérienne s'éveille, se réveille et s'ébroue à petits pas, en revenant à l'exercice de base de la politique. A coups de déclarations, d'interviews, de discours, de commentaires et autres échanges épistolaires, la politique reprend progressivement ses droits, malgré la fermeture de son champ d'activité. Elle regagne timidement ses quartiers de noblesse comme, par exemple, dans les échanges entre les deux vieux lions du nationalisme et du combat démocratique, Abdelhamid Mehri et Hocine Aït Ahmed. Elle retrouve, même parcimonieusement, sa définition première lorsque l'élite partisane, toutes générations confondues, se remet à irriguer le champ politique par la critique et la production de sens. Surtout si les interventions des uns et des autres militent en faveur d'un changement pacifique et d'une transition démocratique concertée et ordonnée. Et on ne boude pas son plaisir lorsqu'on voit Chawki Salhi (PST), Karim Tabbou (FFS), Abdallah Djaballah (islamiste, sans parti fixe), Ahmed Benbitour (ancien Premier ministre, fondateur de l'Alliance nationale pour le changement), Djamel Ben Abdesselam (président du Mouvement islamiste Al Islah), Louisa Hanoune (PT), Moussa Touati (FNA), Abou Djorra Soltani (MSP) et Abdelaziz Ziari (FLN), prendre ou reprendre la parole. Il était désespérant de voir les politiques algériens, sous prétexte de verrouillage réel du champ politique et de restriction méthodique des espaces de liberté, depuis juin 1991, déserter la scène et se réfugier dans un long silence que d'aucuns croyaient d'or. L'insécurité terroriste et la propension du régime algérien à en user pour justifier sa tendance à fermer espaces, portes et fenêtres de l'exercice politique, expliquent quelque peu la démission des politiques, mais, en aucun cas, ne doivent la justifier. Comme ailleurs, de tout temps et sous toutes les latitudes, la parole se prend et les espaces de liberté se conquièrent, centimètre carré par centimètre carré. Ce retour balbutiant à la politique serait imputable à une volonté de la valoriser face à la traduction émeutière du mécontentement social et des conflits d'intérêts, devenue le mode d'expression dominant. Mais cette volonté semble encouragée aussi par les mouvements d'émancipation démocratique en Tunisie, en Egypte ou en Libye ainsi que dans d'autres pays du Moyen-Orient où la «Rue» déclasse et décrédibilise les anciennes élites politiques, vermoulues, rancies et corrompues. En toile de fond, la révolte des masses juvéniles arabes, cyber-militantes et surdéterminées, conditionne quelque peu la parole des politiques algériens. De nouveau en éveil, ils reviennent ainsi à la politique, abandonnant le registre plaintif de la chicaya pour la critique construite, l'analyse et, fait nouveau, les propositions. La réhabilitation de la politique, même encore incertaine, coïncide avec le développement intensif et extensif du mécontentement catégoriel et de la structuration lente et laborieuse d'un syndicalisme alternatif. Un mouvement de radicalité sociale qui dessine les contours d'une certaine dynamique. Cette dernière suggère que les Algériens acceptent de se mettre en mouvement dès lors que des offres politiques structurées sont en mesure de vertébrer leurs demandes. Quand il analyse les perspectives des insurrections populaires en Tunisie et en Egypte ou quand il milite pour la construction en Algérie d'un «pôle de gauche» face au projet libéral, Chawki Salhi, porte-parole du PST, est dans la politique, chimiquement pure. Ahmed Benbitour, le plus prolixe des politiques algériens, ne sort pas du même registre lorsqu'il tente de fédérer des volontés pour le changement et propose la rédaction d'une charte des droits et des libertés. Il reste dans le même cadre quand il appelle les institutions militaire et sécuritaire à appuyer l'aspiration populaire au changement, à l'instar des armées égyptienne et tunisienne. Quand Abdelaziz Ziari, président de l'APN, évoque, pour sa part, l'abstentionnisme électoral, il est, lui aussi, dans une démarche politique stricte. Il adopte même une attitude inhabituelle chez les clientèles politiques du régime lorsqu'il met en garde contre le risque de désaffection électorale lors des prochains scrutins. Le président de l'Assemblée innove aussi du fait d'évoquer l'abstention, sujet tabou au sein du sérail où l'on admet rarement que la représentation nationale, tous niveaux confondus, soit mal élue, les taux d'abstention reconnus ne correspondant guère aux taux d'abstention réels, à l'exception de l'élection du président Liamine Zeroual. Ce retour à la politique, louable en soi, ne fait pas oublier pour autant que la prise de parole est systématiquement le fait des premiers d'entre leurs pairs au sein des partis. Souvent des chefs d'hier, des leaders inamovibles, adeptes, dans le meilleur des cas, du centralisme démocratique. Même si leur reconversion à la politique est le début du commencement de quelque chose qui évolue dans la cosmogonie politique algérienne, il faut se réjouir tout de même de voir nos politiques dire la politique et en faire. En somme, apprendre ou réapprendre leur métier. Surtout quand ils entendent le faire «zangua, zangua». Sans tabou.