Photo : M. Boumati Par Noureddine Khelassi Bastion traditionnel du nationalisme et des luttes cumulatives pour l'idéal démocratique, la Kabylie est aujourd'hui un condensé politique, économique, social, culturel et insécuritaire de la crise algérienne. Beaucoup plus que d'autres régions du pays, elle a souffert de la paupérisation économique, de la clochardisation sociale, d'un terrorisme islamiste endémique et, du fait de mafias locales, de violences multiples. D'un point de vue politique, la région est traversée par quatre lignes de fracture. Il s'agit, notamment, de deux offres contradictoires, sociale-démocrate et libérale, représentées par le Front des forces socialistes (FFS) et le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD). S'ajoutent à ces deux partis, le MAK, avatar autonomiste du RCD, et les nébuleux Arouch, mouvement séditieux mais qui a porté aussi de légitimes revendications culturalistes et identitaires. Bien entendu, ces lignes de forces politiques autochtones, dominent toujours les autres offres représentées par des formations nationales à plus faible ancrage local comme le Front de libération nationale (FLN) ou le Rassemblement national démocratique (RND). Indépendamment des conditions historiques de leur naissance, le RCD et les Arouch, dont une partie fut un prolongement informel et une caisse de résonance de ce même parti, ont été formatés pour affaiblir dans son fief historique le plus ancien des partis d'opposition démocratique du pays : le FFS. La scène politique locale ainsi atomisée, les problèmes économiques et sociaux s'accumulant et les violences terroristes et mafieuses s'accentuant, la région sombrait progressivement dans l'anomie. Sa force de contestation s'est traduite alors par la perte de substance civique. Son expression politique la plus évidente, une fronde permanente traduite par de très forts taux d'abstention aux élections locales, législatives et présidentielles, y compris en 2004 et en 2007. Cette attitude serait même l'archétype d'une désobéissance civile qui scande à peine son nom. L'instabilité politique, la fragilité du tissu social et l'insécurité protéiforme étaient telles que l'Etat, cédant à la pression politique des Arouch, commet alors une erreur stratégique. Il abdique localement une partie de sa souveraineté, cédant sur son monopole d'exercice légitime de la violence et sur son obligation régalienne de maintien de l'ordre. En acceptant, notamment, de délocaliser les gendarmes, l'Etat, dont certains démembrements ont un temps joué la carte du pourrissement, a fini par être désarmé et désemparé. Un temps impuissant face aux Arouch, mouvement subversif mais non homogène qu'il a longtemps cru domestiquer. Même si, insécurité aidant, le retour des gendarmes en Kabylie est devenu une revendication forte de la population excédée par l'explosion de la petite et de la grande délinquance en arrière-plan du terrorisme, la région restait instable. Dans ce cas, l'intermédiation politique ne pouvait jouer pleinement son rôle. Du moins jusqu'à la campagne pour les élections présidentielles du 9 avril prochain. Cette fois-ci, c'est l'organe, c'est-à-dire le prétexte d'un grand rendez-vous politique qui créera la fonction politique. Et, divine surprise, la région renoue à cette occasion avec la politique dans le calme et avec un sens très élevé du civisme patriotique. Elle le fera d'abord en ne faisant pas de mauvaises manières lors de l'accueil du président de la République en campagne à Tizi Ouzou et dans l'ancienne capitale des Hammadites. Ensuite, en se mobilisant dans la ville des Genêts et à Béjaïa en faveur du boycottage des élections. Dans les deux cas, la foule était au rendez-vous. La bonne nouvelle de 2009, c'est finalement le retour de la politique dans une région toujours pionnière en matière de combats démocratiques. Dans le détail, c'est le FFS qui se rebiffe. A l'occasion, le parti de Hocine Aït Ahmed a révélé des capacités de mobilisation effectives en dépit des efforts des Arouch et du RCD rival de le priver d'oxygène politique. Et, en filigrane, c'est après tout le parti du Dr. Sadi qui s'est dévitalisé, se tirant souvent des balles dans les orteils et perdant du coup pied dans la région. C'est aussi le cas des Arouch, mouvement désormais émollient, atone et évanescent. Après tout, quand la politique reprend ses droits, l'espoir renaît et les apprentis sorciers et autres docteurs Mabuse et Folamour s'éclipsent.