Depuis 12 jours, la Syrie un des pays arabes réputé des plus «stables», est en proie à une contestation sans précédent contre le régime en place. Ces violences interviennent en dépit des gestes d'apaisement des autorités qui ont libéré 260 détenus politiques ayant, dans leur majorité, purgé les trois quarts de leur peine. Alors que la contestation lancée le 15 mars contre le régime de Bachar al-Assad a fait 126 morts, selon les organisations des droits de l'Homme, un appel à une «révolte populaire» dans toutes les provinces circule sur Facebook. La contestation, inimaginable il y a peu, est de l'ordre du palpable. Dans la ville portuaire de Lattaquié, à 350km au nord-ouest de Damas, la situation a dégénéré. A Tafas, un village au sud de Damas, des manifestants ont incendié un siège du parti Baath, au pouvoir depuis 1963, et un poste de police. A Deraa, épicentre de la contestation à 100 km au sud de Damas, près de 300 jeunes sont montés sur les restes d'une statue de l'ex-président Hafedh Al Assad, père de l'actuel président, déboulonnée la veille, en scandant des slogans hostiles au régime. L'image saisissante de la destruction de l'effigie d'El Assad père est symptomatique de l'état de mécontentement qui gagne la Syrie. Deux personnalités du pouvoir concentrent la haine populaire. Maher Al Assad, frère du Président et commandant de la Garde républicaine, et Rami Makhlouf, cousin du Président, richissime propriétaire de Syriatel. A eux deux, ils incarnent la brutalité et la corruption qui minent le pouvoir en Syrie. Même la capitale Damas, ville restée en retrait jusque-là, bouge. Mais dans la réaction. Des centaines de personnes ont défilé pour soutenir le chef de l'Etat. Des voitures ont circulé en klaxonnant et les passagers ont arboré des drapeaux syriens et des photos du Président. Face à cette escalade, les autorités lâchent du lest et annoncent des libérations de détenus, des mesures anti-corruption. L'état d'urgence en vigueur depuis 1963 devrait être annulé. Dans le cadre de ces promesses, la conseillère du chef de l'Etat, Bouthaïna Chaabane, dont les sorties sont scrupuleusement décortiquées par les connaisseurs des arcanes des régimes, a affirmé que la révolte a pour plan caché de semer les dissensions et de porter atteinte à la coexistence en Syrie.Le discours complotiste est convoqué. La conseillère du président révèle que la décision d'abroger la loi d'urgence en vigueur depuis 1963 avait été prise ajoutant qu'aussitôt après l'abrogation de cette loi, «toutes les personnes arrêtées en vertu de cette loi seront libérées». Cette loi, rédigée en décembre 1962 par un précédent gouvernement, était entrée en vigueur aussitôt après l'arrivée au pouvoir du parti Baath en mars 1963. Elle impose des restrictions sur la liberté de réunion et de déplacement, et permet l'arrestation de «suspects ou de personnes menaçant la sécurité». Elle autorise aussi la surveillance des communications et le contrôle préalable des médias. Une loi qui a fait des ravages et qui a nourri des années de ressentiments. Le régime a réprimé, parfois dans le sang, les islamistes qui contestaient son pouvoir. En 1982, des dizaines de milliers de personnes ont été tuées lors de bombardements ordonnés par Al Assad père contre la ville de Hama. Pour les observateurs, la situation en Syrie pourrait allégrement dégénérer tant le pouvoir est fragilisé. Pour Antoine Sfeir, directeur des cahiers de l'Orient, il est à craindre un effet domino. Pour lui, la contestation ne touche pas toute la Syrie, pour le moment, mais est localisée à la frontière syro-jordanienne à Deraa, une ville frontalière sur la route entre Damas et Amman. Deraa est une ville de minorités (Arméniens, Kurdes, Turkmènes). «Leurs propres revendications se sont ajoutées aux revendications transversales des mouvements de contestations précédents en Tunisie, en Egypte ou en Libye. Toutes ces personnes ont vu le monde se faire sans eux durant les trente dernières années et là, grâce aux technologies auxquelles elles ont accès, elles parviennent à participer aux changements en cours.» La question est maintenant de savoir si la contestation va toucher les grandes villes, jusqu'à Damas. «Car, si tel est le cas, on peut craindre un démantèlement de la Syrie.» Pour Sfeir, il ne faut pas «oublier que tous les pays du Moyen-Orient ont été constitués sur la base du partage des territoires entre Français et Britanniques définis lors des accords Sykes-Picot en 1916 et non sur des notions de peuple. Et des troubles en Syrie pourraient amener un éclatement du pays où aujourd'hui différents peuples coexistent.» La crise syrienne dans le contexte de révoltes arabes en série inquiète. La haut-commissaire des Nations unies aux droits de l'Homme, Navi Pillay, a mis en garde la Syrie contre le risque d'une «spirale de violences» engendrée par la répression violente des manifestations et l'a appelée à tirer les leçons des événements au Maghreb et au Moyen-Orient. Selon le New York Times, Washington, «adversaire» du régime syrien, a engagé des contacts en toute discrétion avec le président Al Assad pour le presser de mettre un terme aux violences contre la population. «Ce qui s'est passé ces dernières semaines en Syrie est très inquiétant», et l'usage de la force par les forces syriennes est allé «bien au-delà» de ce que les Etats-Unis auraient souhaité, a, pour sa part, indiqué la secrétaire d'Etat, Hillary Clinton. M. B.