Photo : M. Hacène Par Faouzia Ababsa La pénalisation des actes de gestion relève-t-elle d'une dérive des textes ou de la justice ? Faut-il dépénaliser l'acte de gestion ? Auquel cas, s'agirait-il de libeller un blanc-seing aux chefs d'entreprise ? Autant de questions qui ont été débattues hier au forum du journal El Moudjahid. Ont pris part à la rencontre Mes Miloud Brahimi, Lahbib Zerhouni et Rachid Ouali, tous les trois avocats du barreau d'Alger, ainsi que Djamel Djerad, commissaire aux comptes et président d'honneur du conseil de l'Ordre des experts-comptables. Sujet d'une actualité brûlante, les plaidoyers pour la dépénalisation de l'acte de gestion ne datent pas d'aujourd'hui. Chefs d'entreprise, avocats et partis politiques ont, depuis plusieurs années, dénoncé cette pénalisation qui relève beaucoup plus du règlement de comptes que de la lutte contre la corruption. Et, comme l'a dit hier Me Brahimi, qui a eu à défendre des gestionnaires injustement incriminés, «le délit économique est la forme archaïque du délit politique». Les intervenants ont indiqué que le recours à la pénalisation de l'acte de gestion se justifiait par la gestion administrée prise au lendemain de l'indépendance. Une mesure empruntée aux pays de l'Est dans le cadre de la protection de l'économie socialiste. Aujourd'hui que l'Algérie est entrée de plain-pied dans l'économie de marché, cette mesure est devenue un contresens. Me Zerhouni a affirmé qu'il devient impératif, voire urgent, de mettre en place auprès des parquets et des tribunaux des staffs qui seraient des fonctionnaires spécialisés dans les finances et la comptabilité, mettant ainsi en évidence le manque de formation des magistrats. L'orateur a estimé que ceux-ci sont envoyés à l'étranger dans des séminaires d'une semaine. Pour lui, ce n'est pas cela la formation et la spécialisation. De plus, il a mis en exergue le fait que les rapports établis par les commissaires aux comptes désignés par les tribunaux sont systématiquement pris en considération par les magistrats dans leur décision de condamner les gestionnaires. Pour sa part, M. Djerad s'est demandé s'il fallait dépénaliser les actes anormaux de gestion. Il précisera que, dans le code de commerce, il y a des dispositions pénales, tout comme dans les autres textes de loi où il est question de contreventions aux dispositions de lois. «Faut-il alors abroger toutes ces lois ? Et dans ce cas, s'agit-il de laisser le chef d'entreprise faire ce qu'il veut ?» s'est-il interrogé. Me Brahimi a affirmé que, lorsqu'il y a eu pénalisation de l'acte de gestion, ce n'était nullement pour lutter contre la corruption ou les détournements puisque les textes existaient déjà. «C'est une mesure qui a été prise au lendemain de l'indépendance pour avoir la maîtrise sur les cadres gestionnaires et pouvoir en disposer comme en veut, soit en les dégommant, soit en les jetant en prison pour des campagnes politique et politicienne». Il appuiera ses dires en donnant les exemples des trois campagnes qui ont été menées, la première dans les années 1980 dans le cadre de la «déboumédiénisation». La Cour des comptes a été instaurée et, une fois sa mission terminée, elle a plongé dans le coma. La deuxième, c'est celle des années 1996-1997 notamment avec l'affaire Sider et Cosider dont les gestionnaires ont été jetés en prison avant d'être reconnus innocents quatre ans plus tard. Une campagne, selon Me Brahimi qui avait certainement pour finalité de donner un coup de pouce à la privatisation. Ce sont donc deux fleurons de l'industrie qu'on «a plongés dans l'abîme». Enfin, la troisième, celle qu'on vit actuellement, notamment avec les affaires Sonatrach et de l'autoroute Est-Ouest. Me Brahimi a, enfin, lancé un appel solennel au président de la République, qui a annoncé la dépénalisation de l'acte de gestion, de respecter son engagement et d'accélérer le processus, parce que l'avocat estime que les magistrats pourraient en ralentir la démarche.