La Syrie semble irrémédiablement enlisée dans un cycle sans fin de manifestations-répressions. Chaque vendredi, un pic de violence ébranle sérieusement le pays et éveille l'inquiétude quant à son avenir. La contestation des Syriens à l'égard du régime de Bachar Al-Assad est devenue, au fil des jours, la réalité politique par excellence du pays. La détermination à exiger la levée de l'étau politico-policier va en grandissant malgré la répression. Le thème fédérateur de la politique étrangère crédible semble ne plus fonctionner. Facteur d'adhésion entre le peuple et le régime, la caractéristique n'inhibe plus la contestation. Il est indéniable que l'opposition syrienne, qui emprunte clairement aux exemples tunisien et égyptien, s'est totalement décomplexée sur cette question. Exiger un minimum de libertés politiques, c'est justement être cohérent avec ses principes à l'international. De plus, l'ampleur des sacrifices consentis par les manifestants montre que les Syriens ont pratiquement transcendé l'impasse de la peur. Pourtant, la disparition de Hafedh Al Assad marquait la fin d'une époque. Malgré une succession dynastique «en force», certains ont espéré que la jeunesse de Bachar Al-Assad pourrait favoriser une amorce d'évolution dans le sens des libertés. Seulement, dans un pays dominé par «les appareils sécuritaires rentiers», le système en place ne laisse aucune place à la politique. La possibilité de transformations pacifiques du pays paraissait peu envisageable. Le pouvoir syrien semble prisonnier de la logique dans laquelle il s'est lui-même barricadé. Cette logique est fondée sur la conviction que toute réforme du régime serait un signe de faiblesse qui entraînera indubitablement la chute du régime et la désintégration du clan familial qui le domine avec les conséquences qui en découleront. Incapable de réforme et privé de discours audible, le régime n'a plus d'autre argument que la menace d'un effondrement généralisé qui menacerait la Syrie dans son existence. L'agitation de la thèse de la conspiration ne prend plus, même si la Syrie reste dans le collimateur de certains ennemis. Face à l'impasse, le système syrien, en mal d'argumentaires et de propositions crédibles, semble opter pour la tension confessionnelle sur lesquelles il peut jouer quitte à mettre en danger l'avenir même de la Syrie en tant que nation. Pour Frédéric Pichon, spécialiste de la région, la Syrie est un Etat multiconfessionnel, fondé sur l'équilibre d'une mosaïque de communautés, dont l'autorité politique est garante. La majorité de la population est sunnite, et a été tenue de longue date à l'écart du pouvoir, même si une bourgeoisie sunnite a émergé depuis une dizaine d'années. Celle-ci aurait donc une revanche à prendre. C'est pour cela d'ailleurs que la contestation intérieure vient principalement des franges sunnites de la population. Les Kurdes, deuxième communauté du pays, représentent 10% de la population, où l'on compte aussi des chrétiens : eux non plus n'ont aucun intérêt à une déstabilisation du régime. La Syrie, d'une certaine façon, pratique une «laïcité positive» favorable à ses minorités. Posture suicidaire Face à la situation politique absolument dantesque, le régime syrien semble faire preuve de rigidité et d'incapacité à esquisser un vrai début de réponse aux demandes légitimes du peuple. La posture suscite pourtant les interrogations à propos d'un système qui est tout sauf inintelligent. Vue de l'extérieur et à l'aune des expériences récentes, cette posture semble relever d'une cécité incompréhensible. Mais, au fil d'une répression sanglante, il apparaît que le régime de Damas est pris dans une véritable impasse. Pour lui, toute concession signifierait inéluctablement sa propre fin. La réaction internationale, notamment occidentale, semble également plaider pour le durcissement. Ni Washington, ni Londres, ni Paris, ni Moscou, ni Tel-Aviv n'accepteraient la déstabilisation de la Syrie au profit du chaos. Il y a beaucoup trop d'intérêts d'équilibres régionaux en jeu. Une déstabilisation de la Syrie aurait des conséquences directes sur la Turquie et l'Irak, par le biais de leurs minorités kurdes. Le plateau du Golan est toujours occupé par l'Etat hébreu depuis 1967. Et la Russie ne laissera certainement pas l'Otan intervenir d'une quelconque façon en Syrie. Pour l'heure, un point de non-retour semble être atteint. Une étape nouvelle a été franchie, avec la critique ouverte de Bachar Al-Assad. Ce dernier a pris certaines décisions assez floues et contradictoires. Une révolution en Syrie Auparavant, même si l'on critiquait le régime, on continuait à compter sur lui. Au minimum, Bachar fait figure du prince mal conseillé dont les pratiques de l'entourage déforment l'image. La contestation a sérieusement évolué. On a brûlé des portraits du Président dans la rue et des statues du père ont été démolies. C'est que Bachar Al-Assad a installé son pays dans une posture d'ouverture en même temps qu'il l'a déçu. Le cycle infernal de la répression et des enterrements, eux-mêmes réprimés, conduirait inéluctablement à l'explosion. Pour Caroline Donati, journaliste spécialiste de la Syrie «la situation a atteint un point de non-retour». «Plus personne ne croit en Bachar Al-Assad. La contestation croît géographiquement d'abord, mais aussi dans sa composition. Les classes moyennes inférieures marginalisées ont été rejointes par les classes moyennes supérieures et même par la bourgeoisie.» Pour l'auteure de L'exception syrienne : entre modernisation et résistance, ce qui unit aujourd'hui les Syriens, quelle que soit leur confession, est «la haine du régime.» L'impasse syrienne augure de lendemains angoissants. M. B.