Entretien réalisé par Badiaa Amarni Amina Kadri Messaïd est enseignante en sociologie du travail et des organisations à l'Université d'Alger 2 et chercheuse au Centre de recherche en économie appliquée pour le développement (Cread). Dans cet entretien qu'elle a bien voulu nous accorder, Mme Kadri Messaïd revient sur l'intelligence économique en Algérie et les mécanismes mis en place pour son développement. La réticence du secteur privé à adopter cette organisation du travail qui permet l'optimisation des potentialités et de la réactivité de l'entreprise ainsi que les perspectives dans ce domaine sont parmi les questions qu'elle détaille. La Tribune : Où en est-on avec l'intelligence économique en Algérie ? AMINA KADRI MESSAID : C'est vrai, on en parle depuis 2006. En Conseil des ministres, il a été question de l'intelligence économique comme démarche à développer dans les entreprises algériennes en vue de développer leur compétitivité. Pour cela, il y a eu une première formation initiée par l'UFC et la deuxième promotion est en formation. Quelques actions sur le terrain ont été aussi entreprises, mais nous ne pouvons pas encore dire qu'en Algérie, il y a effectivement une démarche d'intelligence économique qui est appliquée. On est encore en train de développer petit à petit les moyens humains et techniques qui permettent justement de développer ce domaine dans les entreprises nationales.
Quels sont les mécanismes mis en place pour que les entreprises adhèrent à cette démarche ? Pour amener les entreprises à adhérer, ce qui n'est pas facile, car elles ne connaissent pas le domaine – une entreprise hésite toujours à introduire quelque chose qui risque de lui causer des problèmes, de lui nuire ou affaiblir son efficacité –, la première étape était d'organiser au niveau institutionnel, soit au ministère de l'Industrie, de la PME et de la Promotion des investissements, des campagnes de sensibilisation depuis 2008 et 2009 et de former ses cadres à l'étranger. Après cela, des rencontres régionales ont été organisées un peu partout sur le territoire national pour faire adhérer aussi bien le secteur public que privé à cette démarche. Tout le monde était convoqué pour ce faire. Ensuite, il y a eu l'organisation de cycles de conférences et l'invitation d'experts étrangers pour expliquer aux responsables et dirigeants algériens en quoi l'intelligence économique peut les aider à développer encore plus leur activité et leur part de marché. Et ça continue, le ministère de l'Industrie a toujours des actions dans ce sens-là. Le secteur privé demeure réticent et n'adhère pas encore à cette démarche. Qu'y a-t-il lieu de faire pour l'inciter à adopter l'intelligence économique ? Les conventions de collaboration au nombre de 12 sont signées uniquement avec des entreprises publiques sur leur sollicitation. Je suis extérieure au ministère de l'Industrie et au secteur privé également et je suis à l'écoute des deux. Ce que j'observe aujourd'hui, c'est que les deux se repoussent, au lieu de se rencontrer. Ils se repoussent et chacun jette la balle sur l'autre. Le ministère dit qu'il a essayé de convoquer, d'intéresser et d'interpeller les responsables du secteur privé qui n'ont pas répondu à l'appel, et les responsables du secteur privé soutiennent que le ministère ne leur a rien dit. Mais, à mon avis, ce sont des choses tout à fait normales. En Algérie, nous n'avons pas encore l'habitude de fédérer les secteurs public et privé. D'un côté comme de l'autre, chacun est réticent. Donc, il faut réfléchir à une démarche de communication qui soit spécifique au secteur privé en vue de les intéresser à cette démarche. Est-ce à dire que les campagnes de sensibilisation organisées n'ont pas porté leurs fruits ? Si, elles ont porté leurs fruits pour le secteur public, puisque le ministère avait demandé aux entreprises de se proposer pour installer des cellules de veille. Onze entreprises ont répondu favorablement pour installer ces cellules et voir ce qu'elles peuvent leur apporter. Ce sont en quelque sorte des entreprises pilotes en matière de veille. L'Algérie n'a pas assez de formateurs dans ce domaine. Au niveau du ministère, leur nombre ne saurait dépasser les six. Peut-on aller aujourd'hui vers les objectifs tracés alors qu'un déficit est enregistré dans ce domaine ? Il faut comprendre que l'intelligence économique est un domaine très vaste. Pour l'enseigner, il y a plusieurs disciplines à la fois : l'économie, la communication, le marketing, l'informatique, la sociologie… En Algérie, même si on ne trouve pas des spécialistes en intelligence économique, il existe des enseignants dans tous ces domaines. Pour les disciplines pointues, on fait appel à des spécialistes étrangers comme c'est le cas actuellement à l'Université de la formation continue (UFC). Mais il faut savoir que les étudiants de la deuxième promotion actuellement en formation à l'UFC peuvent constituer des enseignants potentiels. Et puis beaucoup d'organismes publics projettent d'introduire cette discipline comme formation en post-graduation. Donc, à partir du moment où on va former plusieurs promotions, on pourra dire qu'entre-temps les entreprises seront intéressées et que cela se rejoint. On aura d'un côté des formateurs, et de l'autre des entreprises prêtes à adopter cette démarche, il ne pourra donc qu'y avoir une rencontre des deux. C'est pour cela qu'il ne faut pas s'attendre à ce que je vous donne des réponses catégoriques et strictes. Le mot fondamental est que ce domaine est en construction dans notre pays. C'est tout doucement que ça va changer, car tout le monde ne veut pas que ça change, mais la réalité, c'est qu'en Algérie on s'intéresse à l'intelligence économique. C'est donc un travail de longue haleine... Oui, c'est un travail de très longue haleine. Les Français qui ont commencé à développer, il y a 10 ans, l'intelligence économique considèrent qu'ils ne sont pas encore des experts en la matière et que les Anglo-saxons sont mieux qu'eux. Alors que dire chez nous, où on a commencé à s'intéresser à ce domaine il y a à peine quelques années.