Le glacier du fjord d'Ilulissat, à l'ouest du Groenland, une merveille classée au patrimoine mondial de l'Unesco qui avance à 2 mètres à l'heure vers la mer pour y déverser des icebergs impressionnants, poursuit inexorablement son recul de plusieurs kilomètres. C'est la triste image du réchauffement climatique observé dans l'Arctique. Site le plus visité du Groenland, ce grand glacier est le plus actif de l'hémisphère Nord. Il produit 10% des icebergs du Groenland, ou quelque 20 millions de tonnes de glace par jour. Avec plus de 40 mètres par 24 heures, il est aussi le plus rapide glacier. Aujourd'hui, cette merveille de la nature est fissurée par des mares d'eau. Le glacier est «malade», affirment les glaciologues. Pis, selon des estimations récentes des scientifiques américains qui analysent quotidiennement des images satellites de la NASA, il est en passe de se désintégrer. Poursuivant sa contraction, reculant de quelque 15 km au cours des 5 dernières années, sa bordure n'avait jamais été aussi loin à l'intérieur des terres en 150 ans d'observations et de relevés topographiques. Selon Jason Box, professeur associé au département de géographie de l'université de l'Ohio, ce glacier ne s'est pas contracté aussi loin depuis au moins 4 000 à 6 000 ans. «A cause de climat plus chaud» constaté au cours des 10 dernières années, «il y a de plus en plus de baleines, comme la baleine à bosse dévoreuse de plancton dont se nourrit aussi le flétan qui se raréfie», se lamente un pêcheur habitant Ilulissat, un village au bord de la baie de Disko parsemée d'icebergs, à 250 km au nord du cercle arctique, Karl Thomasson. Ce réchauffement est confirmé par le Centre américain de données sur la neige et la glace (NSIDC, National Snow and Ice Data Center), qui a relevé que l'étendue de la banquise en Arctique a atteint un niveau minimum, le 12 septembre, de 4,52 millions de km⊃2;. Un niveau s'approchant du record de 4,13 millions de km⊃2;, atteint l'an dernier contre 7,7 millions de km⊃2; de 1979 à 2000. C'est le second niveau le plus bas enregistré par le NSDIC depuis 35 ans lorsque le centre a commencé à photographier en 1979 la glace par satellite. Les glaciers du Groenland fondent maintenant deux fois plus rapidement qu'il y a deux ou trois ans, selon des mesures par radar et satellites, constate le professeur Soeren Rysgaard de l'Institut de ressources naturelles du Groenland à Nuuk. Pour le chercheur danois Abbas Khan, à l'Institut de recherche spatiale de Copenhague, qui étudie sur le terrain le mouvement des glaciers groenlandais, «la glace fond maintenant dans certains endroits sur la côte Est quatre fois plus rapidement qu'avant». Une équipe d'experts américano-danois qui travaille au Centre de recherche international de l'Arctique à l'université Fairbanks en Alaska est arrivée aux mêmes conclusions catastrophiques. Selon ces chercheurs, la fonte de l'inlandsis au Groenland, la calotte glaciaire recouvrant plus de 80% de cette île, est plus rapide qu'estimé précédemment, en raison du réchauffement climatique. La calotte glaciaire de 1,8 million de km⊃2;, renfermant 10% des eaux douces de la planète, perd aujourd'hui environ 257 km3 de glaces par an. Elle enregistrera en 2080 une perte nette annuelle de 465 km3, selon de nouvelles évaluations de cette équipe de chercheurs. Cette perte nette serait en 2080 «81% plus grande que celle d'aujourd'hui […] conduisant à une hausse du niveau des mers de 107 mm ou quelque 11 cm», a déclaré le chercheur Sebastian H. Mernild, dans un communiqué. Les observations satellitaires effectuées indiquent que «le niveau de l'eau global s'est accrû depuis 1993 d'environ 3mm par an, soit à un rythme beaucoup plus accéléré que lors du siècle dernier» (+1,7 mm par an), a-t-il souligné. «La saison de fonte (en été) de l'inlandsis a battu un nouveau record en 2007, correspondant à une perte de 50% de la surface totale de la glace. Et ce record ne sera pas le dernier», selon ce chercheur. «La fonte à la fin de la décennie 2070 verra ce pourcentage passer à 66%, soit environ 1,204 million de km⊃2;», selon le Dr Mernild, à la tête de cette équipe de chercheurs, observant que cette fonte «a lieu à un rythme plus rapide qu'estimé par le passé». Les calculs de cette équipe, basés sur «des modélisations climatiques et sur les scénarii» du panel climatique de l'ONU (IPCC) montrent que «la température moyenne de l'air augmentera de quelque 2,7 degrés vers la fin de ce siècle» au Groenland. Cet amincissement de la glace de surface de l'inlandsis s'accompagne d'une accélération de l'écoulement des eaux douces vers la mer. D'environ 400 km3 par an durant la période 1998-2007, cet écoulement croîtra à quelque 675 km3 en 2070-2080, correspondant à une hausse de 70% comparé à la période actuelle, selon des modèles élaborés par ces chercheurs. «On peut déjà remarquer que la teneur en sel des mers autour du Groenland a diminué […] et c'est naturellement préoccupant, car cela aura beaucoup de conséquences pour les pays se trouvant dans des zones basses» de la terre comme en Asie (Bangladesh, les Maldives), a-t-il déclaré, cité par l'agence danoise Ritzau. Cette étude, publiée dans Hydrological Processes et le Journal of Hydrometeoroly, sera présentée en décembre prochain à une réunion de l'American Geophysical Union (AGU) à San Francisco.