Des «chicha-cafés», établissements ordinaires qui se distinguent en proposant des narguilés, poussent comme des champignons à Constantine et connaissent, en ce mois de Ramadhan, un engouement sans pareil chez les jeunes et les moins jeunes. S'attabler sur une terrasse de café ou dans un salon de thé, ou même chez soi, pour déguster ces bouffées aromatisées, est devenu un plaisir que certains amateurs qualifient de «suprême». Un vendeur d'articles traditionnels, au centre de la ville des Ponts, révèle qu'il réalise l'essentiel de son chiffre d'affaires pendant le mois sacré du Ramadhan en vendant des «chichas» qui, dit-il, «s'écoulent comme des petits-pains». Proposée entre 1 000 et 3 000 DA en magasin, si l'on veut en faire l'acquisition et, pour une simple mise à disposition du narguilé, à 300, voire 600 DA (parfois plus) selon le lieu de consommation, la «chicha» est un mot d'origine perse signifiant bouteille. Son synonyme «narguilé» également d'origine perse veut dire, assurent les initiés, noix de coco, en référence à la forme du récipient recevant l'eau. Introduite en Algérie par les Ottomans au cours du XVe siècle, cette pipe à eau, qui permet de fumer une préparation à base de tabac nature ou aromatisé aux fruits, disparaîtra petit à petit des mœurs après la colonisation. «Abandonné» par souci économique, «car le tabac aromatisé était devenu un luxe que l'on ne pouvait se permettre», selon Abdelhamid, un sexagénaire. Deux siècles plus tard, les Algériens renouent avec cette coutume turque. Pour Abdelhamid, «cette fois-ci, ce ne sont pas les Orientaux qui l'ont réintroduite dans le pays, mais bien les ‘‘trabendistes'' activant aux frontières Est du pays qui sont derrière son retour». En pénétrant dans l'un des «chicha-cafés» de Constantine, quelques heures après le f'tour, l'on est accueilli, dès le seuil, par les relents parfumés du narguilé. La salle à la lumière tamisée affiche complet. La majorité des clients sont jeunes et avouent éprouver «beaucoup de plaisir» à se retrouver entre copains, le temps d'une «séance» de chicha. L'un d'eux, Samir (22 ans), jurant qu'il n'avale pas la fumée, préférant emplir son palais de la saveur subtile de l'arôme, s'empresse d'expliquer le fonctionnement de la chicha. «C'est trois fois rien, dit-il, avec un air savant. On remplit le bocal d'eau, on met le charbon ardent et ensuite le m'aâssal et là en avant». Karim (25 ans), musicien, soutient, en réponse à la question de savoir pourquoi cette coutume orientale est appréciée à ce point, que «si la cigarette peut s'apprécier individuellement, la chicha, elle, s'apprécie en groupe». C'est aussi un moyen comme un autre de se divertir entre amis, ajoute Karim, pour qui «le fait de se retrouver entre amis autour d'une chicha permet de discuter dans un cadre convivial et d'animer les soirées de Ramadhan». A côté de lui, sa cousine Mouna, jeune étudiante de 23 ans, avoue qu'elle fume de la chicha depuis deux années : «J'en raffole, ce sont mes cousins et cousines qui m'y ont initiée.» Questionnée à propos de la réaction de ses parents vis-à-vis de cette habitude, elle affirme qu'ils n'y trouvent aucun inconvénient, «convaincus», selon elle, que cela «n'a rien avoir avec la cigarette». Pourtant, ces bouffées parfumées, dont on se délecte à loisir, ne sont rien d'autre que de la fumée de tabac. Aromatisé, certes, mais du tabac quand même avec tous ses inconvénients pour la santé, fût-il mélangé à de la mélasse et à un arôme de fruits. Le Dr Benmouras, pneumo-phtisiologue au CHU de Constantine, souligne que la chicha a les mêmes effets néfastes que la cigarette. «Le m'aâssel contient des euphorisants, ce qui explique la joie que procure sa consommation, mais l'utilisation de la chicha, au bout d'un certain temps, provoque une dépendance au même titre que les autres tabacs», explique-t-il. Le rapport de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) concernant ces effets néfastes donne froid dans le dos. L'on y révèle que le taux de monoxyde de carbone inhalé dans la chicha est 7 fois supérieur par rapport à la cigarette. 30 à 50 bouffées de chicha, inhalées sur une durée moyenne d'une heure, équivalent à 2 paquets de cigarettes. Le jeune Samir a beau affirmer, entêté, «ne pas avaler la fumée», les chiffres de l'OMS sont encore plus têtus que lui.