Le bilan des civils tombés sous les balles assassines du régime de Damas s'alourdit de jour en jour, dépassant les 1 800 morts depuis le début des manifestations anti-Al-Assad le 15 mars dernier. Pour la seule journée du dimanche, les autorités syriennes ont tué 23 civils et blessé des dizaines d'autres dans plusieurs quartiers de Lattaquié, sur la côte ouest de la Syrie, une province qui a été la cible d'attaques terrestres et maritimes. Bachar Al-Assad n'a pas hésité, en fait, à utiliser la marine pour tenter de faire taire le vent de révolte qui risque de faire tomber son régime. «Des navires de guerre attaquent Lattaquié et des explosions ont été entendues dans plusieurs quartiers. (…) des tirs nourris et des explosions ont été entendus dans le quartier Slaibé, tandis que des véhicules des milices pro-régimes et des forces de sécurité se regroupaient dans la ville», a rapporté l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH) dont le porte-parole avait été interpellé et arrêté en fin de semaine dernière à Damas par les services de sécurité du régime. Les forces de sécurité ont fait usage de lance-roquettes dans le quartier Al-Sakentouri, et un enfant a été blessé dans le quartier voisin de Boustane Saydaoui, a ajouté l'OSDH. Après donc Homs, Deir Ez Zor et Draa, c'était au tour de Raml Al-Janoubi, un quartier de Lattaquié, de subir la terreur meurtrière du régime de Damas qui semble déterminé à faire taire toutes les voix discordantes à travers tout le pays, même si cela doit se faire au prix du massacre de milliers de civils dont le seul tort était de réclamer plus de liberté et de meilleures conditions de vie. Ces derniers jours donc, le quartier de Raml Al-Jounoubi a été le théâtre de manifestations massives réclamant la chute du régime du président Bachar Al-Assad, confronté depuis près de cinq mois à un mouvement de contestation inédit. Arrivé au pouvoir début 2000, après le décès de son père Hafez Al-Assad, Bachar Al-Assad avait promis d'opérer des réformes socioéconomiques et politiques afin de répondre aux attentes du peuple syrien qui a été pris dans les rets d'une dynastie familiale, prête à tout pour rester au pouvoir. Encouragés par les mouvements de révolte en Tunisie et en Egypte qui ont abouti respectivement à la chute du régime de Ben Ali et de Hosni Moubarak, les Syriens ont ainsi engagé un véritable bras de fer avec un président qui souffle le chaud et le froid mais sans arriver à éteindre le feu de cette colère citoyenne qui couve depuis des années mais qui n'a pu éclater qu'au début du mois de mars, car dans un pays comme la Syrie où les Moukhabarat (services de renseignements) sont présentes partout, il est difficile pour la société civile de s'organiser et de mener des actions politiques concrètes sur le terrain. Aujourd'hui, le mur de la peur a été détruit mais le régime de Damas, un peu chancelant, tient toujours debout et son chef de file Al-Assad ne veut rien lâcher bien qu'il soit de plus en plus isolé et sous le coup de nouvelles sanctions diplomatiques de la part de l'ONU. Soutiens internes et externes La communauté allaouite dont est issue la famille Al-Assad ne représente que 10% de la population syrienne aujourd'hui. Pourtant le pouvoir est entre ses mains. Elle a le contrôle de l'armée, considérée comme la clé du régime, et a infiltré tous les secteurs et les postes de responsabilité stratégiques dans toute la Syrie. Tout en bénéficiant du soutien de sa communauté, le régime Al-Assad compte aussi sur le soutien des autres minorités ethniques du pays : chrétiens, druzes, arméniens et kurdes qui forment 20% de la population et les 70% restants sont des sunnites dont Damas a peur aujourd'hui, selon certains analystes. La présence en force des membres de ces minorités dans la capitale a fait que Damas a pu être, en partie, épargnée par la révolte, estiment des observateurs et spécialistes de la Syrie. Avant même son arrivée au pouvoir, Bachar Al-Assad avait commencé à se constituer sa propre clientèle et de nouvelles allégeances qui, actuellement, lui permettent de se maintenir au pouvoir même si, au vu de ce qui se passe aujourd'hui, rien n'est plus sûr pour lui. Le président syrien et son clan ont su entretenir ces minorités en les faisant bénéficier des réformes économiques qu'il avait entamées dès son arrivée au pouvoir en 2000. C'est ce qui explique d'ailleurs la révolte des populations qui vivent dans les autres provinces et qui n'ont pas été touchées par le plan de développement économique de la Syrie au début de la décennie. Toutefois des chercheurs estiment que même au sein des populations pauvres et marginalisées, le régime de Damas bénéficie d'un soutien implicite, y compris parmi les sunnites. Pour Thomas Pierret, chercheur en sciences politiques au Zentrum Moderner Orient de Berlin, en Allemagne, beaucoup d'alaouites et sunnites «pensent que l'alternative ne pourrait être que pire pour leur communauté», a rapporté l'hebdomadaire français L'Express dans son site web. «Le discours à l'extérieur n'a que très peu d'impact à l'intérieur du pays. C'est le rapport de force entre les communautés qui prévaut sur place», explique encore une chercheuse française à L'Express, qui se rend régulièrement en Syrie et qui a requis l'anonymat. Mais tant que l'armée ou une partie de l'armée ne l'a pas lâché, Bachar Al-Assad ne cédera pas devant la pression de la rue. Toutefois, pas seulement cela. La Syrie occupe une position stratégique au Moyen-Orient. Longtemps qualifiée d'Etat voyou par l'Occident, elle a su revenir progressivement sur la scène internationale grâce justement au changement de politique opéré par Bachar durant cette décennie. Ainsi, il est devenu fréquentable et les Etats-Unis, qui l'accusent de soutenir le Hezbollah libanais et le Hamas palestinien, ont bien voulu s'appuyer sur lui pour négocier sur le nucléaire avec l'Iran. C'est pour ces raisons que Washington demeure indécis quant à l'attitude à adopter contre Damas. De l'autre côté, il y a Israël qui, selon de nombreux analystes et la presse israélienne, n'a pas intérêt à voir le régime d'Al-Assad tomber du jour au lendemain. Tel-Aviv, qui a des frontières avec Damas vivrait la peur au ventre de voir une Syrie instable, ce qui aurait des conséquences désastreuses sur les Israéliens du point de vue sécuritaire, ajoute la presse israélienne. Autrement dit, les autorités israéliennes pèseraient beaucoup dans la position américaine et occidentale en général devant ce qui se passe en Syrie. Al-Assad est conscient des enjeux régionaux. Sinon, pourquoi prendrait-il le risque d'agir de la même manière que le président libyen Mouammar Kadhafi pour réprimer la contestation légitime de son peuple ? De l'autre côté, la Turquie, l'un des plus importants partenaires politiques, militaires et économiques de la Syrie, n'a pris pour le moment aucune décision de nature à faire reculer les chars de Damas des principales provinces syriennes. L'instabilité de la Syrie entraînerait un flux de réfugiés syriens en Turquie qu'Ankara ne pourrait peut-être pas contrôler. Mais on a beau trouver des raisons qui font que Bachar Al-Assad tient tête à la révolte populaire de ses concitoyens, la réalité en est que des dizaines de civils meurent quotidiennement sous les tirs à balles réelles de l'armée de Damas, que des populations entières fuient leurs maisons pour plonger dans l'inconnu et que des milliers d'opposants croupissent dans les prisons secrètes de ce régime meurtrier. Et une partie de la responsabilité revient au silence des pays arabes et à la passivité des Etats occidentaux. L. M.