De notre correspondant à Constantine A. Lemili Agréables soirées que celles que passent les Constantinois sur la terrasse d'un café idéalement excentré de la ville et de son formidable tumulte. Le café Haouzi en l'occurrence accueille une centaine de personnes une fois le jeûne rompu. Il y a lieu de souligner que l'affluence se renouvelle successivement en cours de soirée mais il ne se trouve pas un Constantinois, et ce terme ne désigne, loin de toute idée de ségrégation, que les personnes de souche ou du moins celles qui ont une vraie relation ombilicale avec la cité d'Ibn-Badis.Ces lieux hautement conviviaux ont la particularité de trancher avec la réputation de l'endroit qui n'est autre que la gare routière ouest connue comme étant une sorte de coupe-gorge, un lieu malfamé où, si elle ne règne pas effectivement, l'insécurité ou le sentiment d'une virtuelle insécurité sont omniprésents. Ce décor, quoique débordant par l'imagination sur ce sujet précis, n'empêche pas mélomanes, artistes et surtout des gens de s'y rendre rien que pour le plaisir de vivre sur des notes de musique qui sembleraient tellement désuètes aux yeux des non-connaisseurs mais aussi parce qu'il y a l'assurance derrière de retrouver, pour raison de déracinement des populations notamment de la vieille ville, tout visage familier perdu de vue depuis de longues années.La disponibilité sur place d'instruments de musique, tar, derbouka, mandole, luth, flûte, violon dans la mesure où le gérant-propriétaire des lieux est également un grand mélomane et musicien de talent permet, voire évacue tout embarras chez ceux parmi les personnes présentes souhaitant taquiner la muse de monter sur place une formation, mettre en harmonie leur appétence musicale et du coup partir sur les titres les plus évocateurs du patrimoine de la musique citadine. L'authenticité est garantie à 100 % d'autant plus que s'il se trouve parmi les virtuoses d'un moment des puristes des airs du terroir il y a également des anciens. L'opportunité nous a été donnée d'y retrouver de grandes figures du malouf à l'image de Rahmani Salah, Laïd Fenikh aujourd'hui en retrait de l'activité mais présent lors de telles… occasions.Le gérant du café Haouzi a donc réussi la performance de recréer une ambiance rétro tellement prenante que les personnes présentes ont l'impression de faire un voyage dans le temps, revivant littéralement une seconde jeunesse. La transfiguration est telle chez les plus nostalgiques qu'elle en devient visible sur leur visage, l'entrain qu'ils mettent à soliloquer les paroles des chansons ou reprendre les refrains matérialise cette sorte d'entrée en transe. Au cours de la soirée de dimanche passé, une autre grande figure de la musique citadine, en l'occurrence Mohamed Salah Ghazzal dit Larbi, invité de la radio nationale pour un direct entrant dans le cadre des «Qaâdat» des différentes wilayas du pays, avait choisi ce lieu parce qu'il réunissait toutes les conditions à même de donner le cachet, le vrai et le seul authentique de cet art. Le responsable de l'émission a malheureusement décidé d'annuler l'émission au motif qu'elle risquait d'être perturbée par les personnes présentes. C'est vrai que venant de quelqu'un qui ne connaît en réalité rien à la ville, ses gens, ses habitudes parce qu'il n'en a jamais fait partie naturellement, une telle réaction ne peut nullement étonner. Le plus grave dans tout cela est que l'émission a été réalisée dans la froideur et le caractère impersonnel d'un studio avec des effets sonores spéciaux pour faire illusion. Mais quoique dépité, Mohamed Azzizi, le propriétaire gérant, a su tout de suite rebondir et d'emblée un groupe s'est auto-monté sur place pour démarrer la soirée et lui donner la magie qui est la sienne.