A Constantine, les veillées de Ramadhan donnent au café El Haouzi l'occasion de ravir la vedette à bien des structures culturelles matériellement mieux loties et ayant depuis longtemps pignon sur rue. Se trouvant à proximité immédiate de la gare routière ouest, un endroit pas du tout indiqué à première vue pour constituer un lieu de convivialité, le café El Haouzi s'est imposé malgré sa situation excentrée comme un point de convergence incontournable, pour les musiciens, les mélomanes et pour tous ceux qui recherchent un lieu de rencontre « select » et de bonne fréquentation. Depuis que cet endroit existe, les musiciens et mélomanes de Constantine, les enfants de la ville (par naissance ou par adoption), les cadres moyens et tous ceux qui en ont « par-dessus la tête » des cafés « new look », sans âme et sans cachet, savent aujourd'hui où aller quand ils ont besoin de se rencontrer, passer une soirée de Ramadhan ensemble ou tout simplement de savourer un moment entre amis et copains de même bord. Ils en sont pour cela bien reconnaissants à Mohamed Azizi, le propriétaire des lieux, également musicien et mélomane, pour avoir réussi à leur offrir ce lieu de convivialité qui manquait tant dans la ville. De tous les nombreux cafés, et autres restaurants et pizzerias qui ont poussé comme des champignons ces dernières années dans la ville du Vieux Rocher, le café restaurant El Haouzi est en effet le seul à avoir essayé de renouer avec cette tradition qui était bien ancrée à Constantine et qui voulait qu'un café soit également une sorte de cercle pour ses clients. Aussi et malgré sa situation quelque peu excentrée, ils l'ont vite adopté et en ont spontanément fait leur cercle, qui en proposant d' apporter son luth, qui sa flûte, qui sa derbouka ou encore se portant volontaire pour s'occuper de la sonorisation ou de concocter le menu d'une soirée musicale ou d'un événement à célébrer. C'est ainsi que de café-restaurant, El Haouzi est devenu, plus qu'un lieu de ralliement pour mélomanes, un lieu culturel : on y tient des concerts conviviaux de malouf qui s'écoutent en cercles comme le veut la tradition, on y organise des hommages à des artistes vivants ou disparus, on y fait venir des hôtes de marque pour les introduire à Constantine et on y prend même des initiatives pour orienter et encadrer de jeunes artistes. Ce fut d'ailleurs grâce à une initiative des membres de ce véritable cercle culturel que la chanteuse Dounia El Djazaïria s'est essayée au répertoire malouf. Encadrée par une équipe de musiciens et de connaisseurs du haouzi, cette artiste a pu ainsi prêter sa belle voix et mettre son talent au service de la musique de Constantine, sa ville natale, et donner, il y a quelques années sur la scène du théâtre, l'un de ses plus beaux concerts. Pendant les soirées de Ramadhan, il n'est pas rare que les usagers de la route accédant à la gare routière ouest de Constantine, se fassent surprendre par un air de flûte ou une note de luth comme venant de nulle part, et traversant le ciel nocturne comme un filet de lumière. Si l'on ne connaît pas les lieux, il faut bien chercher pour se rendre compte que là- bas sur la droite de la chaussée, des hommes sont attablés sur la terrasse d'un café, en train de siroter un thé à la menthe pendant qu'à l'intérieur de la salle, un orchestre que l'on peut apercevoir à travers les vitres, les berce en « live » d'une douce mélodie de malouf. Le concert est d'autant plus « sympa » qu'il est improvisé et qu'il s'adresse à un cercle restreint d'initiés et de connaisseurs. Parfois, c'est tout l'auditoire qui se transforme en chœur d'accompagnement et en danseurs. Le maître de céans, qui joue de bon nombre d'instruments, tout en coordonnant et animant les soirées, ne se prive pas du plaisir de se joindre à l'orchestre, soit en instrumentiste ou comme choriste. Couvert d'éloges par ses pairs et ses clients (et néanmoins amis), Moh, comme l'appellent ses intimes, demeure toujours les pieds sur terre et avec un sens de l'humour qu'il cultive comme on cultive un jardin, ne cessant de plaisanter de tout et de rien et de rétorquer sur un ton facétieux qu'il fallait bien « faire quelque chose pour offrir aux artistes de Constantine un endroit où ils peuvent se rencontrer et s'adonner à loisir à leur passion ».