Comme chaque année, le mois de Ramadhan a fait les choux gras des pages culturelles de la plupart des quotidiens. D'autres titres font carrément l'impasse depuis des années sur les programmes de la chaîne unique, tant ces derniers sont réduits à des titres arabisés en idiomes latins. Faut le faire ! Le mois en question a une portée originelle faite dans l'exercice de la foi, l'effort, la modestie et le respect du travail bien fait. Il s'est transformé, au fil du temps, en une caricature changeante d'un pays musulman à un autre. Et née une «culture créative» dans laquelle chaque système politique se fait un Islam sur mesure, dans lequel le pouvoir, sa prise et son exercice sont soumis à des «lectures» dites religieuses, faites maison, cousues main par les dirigeants arabes. Parmi ces derniers, l'Algérie, nonobstant les convictions des uns et des autres, se singularise positivement, comparée à de très nombreux pays musulmans où le nombre de morts, au nom de Dieu, se compte par centaines chaque mois. Cependant, la nervosité, la violence verbale, le stress en voiture ou à pied sont caractéristiques en Algérie. Le viol régulier du civisme, de la morale dans le commerce, du code de la route, est devenu la norme pour le pouvoir réel sur le commerce intérieur dédié à l'estomac. Les petits salaires n'en peuvent mais… Devant l'opulence des étals hors de portée, peu de prix sont affichés (quel que soit le produit, le vêtement ou la chaussure). Les rengaines officielles, même de bonne foi, sont anesthésiées par le programme TV et invalidées par l'informel. La référence à l'estomac, à sa place envahissante dans le volume des importations, dans le gaspillage alimentaire peu dénoncé par des campagnes d'utilité publique à longueur d'année, la bouffe et ses horaires sacralisés participent désormais dans la production audiovisuelle qui se fait un point d'honneur à accompagner les rituels digestifs durant le Ramadhan, devenu le mois de la gabegie La culture se doit, donc, être alimentaire pour les uns et digestive pour les téléspectateurs. Les pouvoirs publics, tétanisés à l'idée d'être de «peu de foi», s'efforcent à la veille du Ramadhan de rassurer les croyants. Sur quoi ? Sur la quantité industrielle de produits dont certains sont importés. Le plus gros de la production locale ou importée finit dans les poubelles. A côté, l'espace urbain est défiguré à jamais par les marchés «coups-de-poing». L'estomac est roi et la TV doit suivre les méandres du tube digestif et les effluves sucrées-salées. Le Ramadhan est un mois béni pour les producteurs audiovisuels, du moins pour ceux qui sont adoubés pour remplir les cases de la grille dite digestive. Bien entendu,il est nécessaire que les acteurs, les musiciens, les techniciens, les réalisateurs, les «producteurs exécutifs», les décorateurs et d'autres corps de métier gagnent leur vie. Pour beaucoup, le mois où le pays travaille et produit le moins est celui qui leur permet de tenir le reste de l'année. Des producteurs dans l'air du temps et travaillant le citoyen pour le réduire à un tube digestif (ce qu'il devient pendant le Ramadhan) intitulent leur «création» par le terme qui veut dire ce qu'il veut dire, «Chorba». Il suffit d'accoler un numéro par année pour arriver à Chorba 1, Chorba 2, Chorba 3, etc. Belle créativité. On peut aussi se creuser les méninges et trouver… «caméra chorba», émission hrira, sketch Kalb ellouz, etc. Dans une déliquescence sans précédent, l'art (la production audiovisuelle est en art) se transforme en appendice, en produit d'appel pour l'estomac, pour la consommation effrénée d'aliments dont certains viennent d'ailleurs, là ou des industries produisent pour notre estomac national. Cette démarche ne fera pas école. Il est difficile d'imaginer dans de grands pays une «caméra crème de potiron», une «caméra puding» ou «un sketch zlabia», sinon «ras el hanout». A. B.